Comme Robert Charlebois le chantait dans Dolorès, Jacques Godbout a eu «toutes sortes d'autos». Globe-trotter et citoyen du monde, il a connu les «étrangères» avant ses contemporains québécois (il est né en 1933) qui, dans les années 50, passaient pour des originaux quand ils conduisaient autre chose qu'une marque classique des «trois grands» Américains: Ford, Chrysler ou General Motors.

Ainsi, Jacques Godbout a acheté son premier char en 1957 en Éthiopie, une Volkswagen Coccinelle, alors qu'il enseignait le français à l'Université d'Addis-Abeba. «À des élèves musulmans qui croyaient toujours la terre plate», lit-on dans Autos biographie, un petit livre où l'auteur de Salut Galarneau! s'inspire de l'automobile «pour jeter un regard d'écrivain sur sa vie».

 

Rien du «gars de chars»

Écrivain, cinéaste, poète et polémiste, figure active de la Révolution tranquille, Jacques Godbout n'a rien, on s'en doute bien, du gars de chars. Vous savez, celui qui, devant sa grosse à la brasserie, peut vous parler pendant une heure de ses problèmes de transmission...

Jacques Godbout n'a jamais démanché un carburateur, comme il n'avait jamais pu, sur ce plateau de tournage au lac Louise en 1957, embrayer la Buick à l'arrière de laquelle attendait une star nommée Marilyn. Dans cette «oeuvre d'autodérision», M. Godbout ne fait pas cachette de son ignorance «mécanique» pas plus, d'ailleurs, qu'il ne joue les intellos anti-chars: «Ceux qui se moquent de la relation particulière qu'entretient un homme avec sa voiture n'ont pas compris qu'elle est plus qu'un symbole, elle est la liberté, la possibilité enfin de quitter son village», écrit-il dans la préface intitulée... Auto-défense. L'auteur y explique comment il a «finalement accepté» la proposition de l'illustrateur Rémy Simard de «revenir sur le passé», mais en se servant de l'auto comme fil conducteur.

Autos et personnages

Et les véhicules défilent, comme les personnages de la vie de Jacques Godbout qui, dans bien des cas, sont aussi des personnages de l'histoire récente du Québec. Comme le petit «Bobby» Bourassa qui lisait en arrière du bus (129) qui l'amenait au Collège Brébeuf; un jour, au coin de Saint-Joseph et de Lorimier, il annonce à son ami Godbout qu'il sera premier ministre. Et que dire de cet improbable déplacement de nuit, à Shilo, Manitoba, en 53, d'une batterie d'artillerie commandée par le «pas reposant» lieutenant Pierre Bourgault... Godbout chauffe le deux-tonnes-et-demie: on imagine facilement la suite...

Bribes de vie

Les automobiles ne sont pas toujours au centre de l'action dans ces 26 chapitres d'où Jacques Godbout se remémore des bribes de sa vie. Ainsi, dans ce chapitre (1958 - Pétrole et farine) où l'auteur se rappelle le temps où il était rédacteur publicitaire chez MacLaren avec André D'Allemagne, futur président du R.I.N. MacLaren avait entre autres les comptes de la farine Five Roses et d'Esso, le commanditaire principal de la Soirée du hockey. «Jamais je n'avais mesuré la puissance immédiate du verbe avant de concevoir ces courts textes racoleurs qui chantaient la poésie des objets.»

Ici une Sunbeam Rapier et une «Corvair sous-vireuse», là une Chevrolet Impala ou une Renault Fuego... Autos biographie touche, souvent avec humour, certaines facettes de la vie d'un créateur qui peut parler autant de littérature - «On ne peut écrire un roman avec une date de péremption» - que se tourner vers l'anecdote pour illustrer son propos. Ainsi, cet ahurissant voyage à Québec qui avait mené à la conception du pavillon L'Homme dans la cité d'Expo 67; cette fois-là, les passagers de la Mercury Cougar étaient, tenez-vous bien: Gilles Carle, Jacques Languirand et Paul Buissonneau...

Tout cela se lit bien, coule comme ruisseau au printemps mais, au milieu du livre, on se prend à souhaiter que M. Godbout, un personnage important de l'histoire intellectuelle du Québec, aille un jour au-delà du «divertissement littéraire». Pour nous parler, sans concept, des gens et des époques qu'il a connus. Le monsieur a du millage...

Ça donnerait aux Québécois, pas trop forts en histoire, on le sait, la chance de faire un beau «tour de machine» dans le temps. Avant que le chauffeur perde «ses licences»...

Autos biographie

Jacques Godbout

Les 400 Coups, 152 pages 29,95$

***1/2