La cloche vient de sonner à l’école Fernand-Seguin, à Montréal. Alors que les couloirs grouillent d’élèves qui se dirigent en classe, Tristan Demers accueille La Presse dans la salle des enseignants.
Le bédéiste revient tout juste de Sept-Îles où il participait au salon du livre. Son passage sur la Côte-Nord lui aura laissé un souvenir : une tendinite au poignet, gracieuseté des quelque 500 signatures du week-end.
Malgré son attelle, l’auteur et illustrateur chouchou des jeunes passera la matinée à dessiner avec deux groupes de 4e année.
Il faut dire que Tristan Demers n’a pas l’habitude de s’arrêter. En plus de créer des bandes dessinées jeunesse, il écrit des livres documentaires pour adultes (comme Québec 90, qui paraîtra cette année) et des albums pour les enfants (dont son plus récent, La chasse aux biscuits). Celui qui a animé différentes émissions de bricolage conçoit également des cahiers de dessin.
Chaque année, il participe à une vingtaine de salons du livre au Québec, mais aussi ailleurs dans le monde. Il y a quelques semaines, il était de passage en France, en Belgique et en Suisse.
Visiblement, Tristan Demers ne tient pas en place. L’artiste verbomoteur au débit rapide aime quand il y a de l’action. C’est peut-être pour cette raison qu’il réussit à capter l’attention des jeunes, une génération habituée à l’instantanéité, analyse-t-il.
Ce matin, dès son entrée dans la classe, les regards d’une vingtaine d’enfants se tournent vers lui et ne le quitteront plus pour la prochaine heure et demie. (Les élèves, qui ont de bonnes manières, ont salué les représentants de La Presse, soyez sans crainte.)
Sur les grandes feuilles blanches accrochées au tableau, les dessins apparaissent à un rythme soutenu, et ce, malgré la tendinite au poignet de l’illustrateur. Deux bébés, une licorne et, bien entendu, Gargouille se succèdent.
« Je prends un petit 5-10 minutes pour te présenter mon univers. Après ça, on va parler du tien », lance le bédéiste.
Un brin de folie
Lorsqu’il a commencé à donner des ateliers dans les écoles il y a 35 ans, le jeune Tristan Demers offrait des conseils pour bien dessiner. À 50 ans, le message qu’il souhaite transmettre a changé. Il veut donner aux jeunes l’envie d’imaginer.
L’imagination, c’est le pouvoir que tu as de transformer des choses qui t’entourent. Aujourd’hui, on va mettre nos lunettes spéciales qui nous permettent de voir la vie autrement.
Tristan Demers
« Si je dessine un poisson, je le dessine dans l’eau ou dans l’espace ? Je fais un lapin. Il mange des carottes ou un gâteau au fromage ? », demande-t-il aux élèves. Ceux-ci, fascinés, comprennent rapidement que lorsqu’on dessine, on peut laisser aller sa folie.
À la recherche d’un animal au long cou à illustrer, Tristan Demers sollicite l’aide des enfants. « Une girafe », répondent-ils en chœur. « Je ne ferai pas de girafe, tu vois bien que tout le monde a dit la même chose. L’originalité, c’est l’idée la plus rare. Il y a d’autres animaux au long cou dont le nom ne nous vient pas en tête en moins d’une seconde », explique-t-il.
Autruche, lama, émeu, dromadaire, flamant rose… les choix sont en effet multiples, réalisent les jeunes.
« Il faut que tu acceptes que ton idée qui va être meilleure et qui va se démarquer va arriver après celle de tout le monde. »
Depuis une quinzaine d’années, le bédéiste constate que les jeunes ne s’accordent plus l’espace nécessaire pour laisser aller leur imagination. « Je pense que, fondamentalement, l’enfant a plein d’idées, mais avant, il s’ennuyait, explique-t-il en entrevue. Il jouait dans le parc, dans la ruelle. Il attrapait une branche, ça devenait une épée ou un télescope. Là, non seulement il passe beaucoup de temps devant l’écran, mais son père lui achète une épée qui allume au Dollarama. Il ne voit plus que la branche peut en devenir une. »
Selon lui, le jugement des autres occupe aussi une place trop importante dans l’esprit de cette génération.
Les enfants sont créatifs, mais ils sont dans un contexte social qui ne leur permet plus de l’exprimer, donc ils finissent par ne plus savoir comment inventer.
Tristan Demers
Loin de lui l’intention de jeter la pierre à quiconque cependant. « C’est vraiment un problème de société, et je m’inclus là-dedans », affirme l’auteur qui a réfléchi au sujet dans l’essai L’imaginaire en déroute.
Il est toutefois convaincu que les ateliers offerts par des artistes dans les écoles contribuent à éveiller la créativité des enfants.
Qu’est-ce qu’il aimerait que les jeunes retiennent de sa présence aujourd’hui ? « La liberté de création et le pouvoir de l’art, répond-il. En étant plus libre, tu es moins dans la retenue. Tu te mets moins de balises. Tu découvres où ça t’amène. Le pouvoir de l’art, ça ne se rentre pas dans la gorge de façon théorique, ça se constate en le vivant. Mais pour le vivre, il faut se laisser aller. »
À vos crayons
Après avoir inventé de drôles de personnages à partir de chiffres et de lettres, Tristan Demers a invité les élèves à faire de même. La seule limite ? Interdiction formelle d’effacer, puisque de belles idées peuvent naître d’un « trait qu’on n’avait pas prévu ». Voici où leur créativité les a menés.
Qui est Tristan Demers ?
- En 1983, à l’âge de 10 ans, Tristan Demers crée le personnage de Gargouille. Vedette d’un magazine artisanal, il gagne en popularité et apparaît dans des livres, des revues, des journaux et sur de nombreux produits dérivés.
- Le bédéiste signe une douzaine de séries destinées à la jeunesse, dont Club Licornes et Les Minimaniacs.
- Passionné d’histoire, il écrit des livres documentaires destinés aux adultes, comme Tintin et le Québec.
- Il a animé différentes émissions créatives, dont Brico-blagues, offerte sur Tou.tv, et BAM, sur Yoopa.