Salomé Assor a publié deux livres exceptionnels chez Poètes de brousse, Un (2019) et Nue, il y a quelques jours. Deux titres comprenant quelques lettres seulement sous lesquelles se cachent toutefois des contenus touffus, usant d’une langue à fleur de peau et de mots.

L’autrice y mêle admirablement les genres littéraires, rappelant ainsi les livres d’autres écrivaines québécoises contemporaines de haut niveau : Daria Colonna, Andréanne Frenette-Vallières et Olivia Tapiero, pour en nommer quelques-unes.

Nue fusionne l’essai au récit personnel, la philosophie à la poésie. En moins comprimé et plus accessible que dans Un, grâce à une ponctuation et une narration resserrées.

Les évènements se déroulent en 12 heures et autant de chapitres. Une femme qui se tait et ne dort pas, depuis toujours, va marcher dans la nuit. Une agression achèvera de couper sa vie en deux. Même si « fermer les yeux suffit à nier la cruauté d’une image », la femme meurtrie attendra « l’aube sans y croire ».

Le récit de cette agression innommable procède avec lucidité et onirisme avec la poésie comme bouée de sauvetage, même si la poète semble avalée par les crocs de la nuit au fond d’une ruelle sans nom.

« Je veux hurler je veux courir je veux me battre et pourtant. Quelle urgence que la paralysie. Je me sens décroître, rétrécir, ainsi qu’une araignée vaincue se recroqueville à l’instant terminal, ravalant son propre geste de fin du monde, vers l’intérieur je tombe : c’est une étroitesse, la protection. »

Si dans Un la solitude s’affichait en majuscules, Nue s’arrime au concept de dualité, d’abord représentée par l’agresseur, puis par un ami aussi inattendu que surprenant, un insecte, peut-être le plus révulsant d’entre eux, un cafard.

La narratrice tentera de l’écraser, comme l’inconnu de la ruelle avec elle, mais sans y arriver. Avec ce confident, cet allié, les mécanismes de survie s’activent pour signifier à l’univers « notre existence insoumise ».

L’absurde et l’espoir

Avant et après la tragédie, la poète « essaie un peu d’aimer » malgré les « banalités humaines » et cette manie de réduire l’amour au verbe aimer.

« Et quelle honte, en fin de compte, je t’aime commence par je. Faire de l’autre un complément d’objet direct. »

Salomé Assor réfléchit comme elle écrit. « Écrire est tout ce que j’ai », a-t-elle déjà dit en entrevue. Généreuse, sans fausse pudeur, ne négligeant ni contradictions ni vulnérabilité, sa prose poétique partage avec nous ce tout qu’elle a et qu’elle est. Sa maîtrise du langage nous emporte facilement en exploitant une pensée riche, en perpétuel mouvement.

Quelque part entre Kafka et Beckett, le livre parle de l’absurdité de la vie, mais aussi de l’imaginaire qui nous sauve de ses pires moments. Quelques notes d’humour ludique apparaissent justement dans ce désert qui est « un lieu d’espoir » malgré tout.

Parce que l’esprit peut s’y égarer, inventer des oasis et y recueillir « ce prodige qu’est le calme ».

Nue

Nue

Poètes de brousse

144 pages

8,5/10