Dois-je partir ? Pourquoi rester ? Enfin : c’est quoi, ce bordel ? Les réponses de Cheryl Strayed ne sont jamais courtes, toujours poussées, confrontantes et éminemment éclairantes. Plus de dix ans après la publication de ses réflexions et quantité de traductions, une version dans la langue de Janette Bertrand atterrit enfin ici.

Ces petits riens qui font tout, une brique de près de 400 pages, réunit une cinquantaine de ses textes, en plus de plusieurs inédits, publiés depuis 2010 dans le cadre de son populaire courrier du cœur, Dear Sugar, du journal littéraire The Rumpus.

Le plus célèbre, abondamment repris dans la série Tiny Beautiful Things (inspirée de ses textes et offerte sur Disney+, gâtez-vous, c’est du bonbon pour l’âme), « Que dirais-tu à la fille que tu étais à 20 ans si tu pouvais lui parler ? », fait évidemment partie du lot.

Il était temps ! « C’est toujours difficile de vendre l’idée de publier un courrier du cœur, répond en entrevue téléphonique Cheryl Strayed. Mais c’est tellement plus qu’un courrier du cœur. C’est une collection d’essais sur la vie et toutes les questions profondes avec lesquelles nous sommes si nombreux à nous battre. »

Et c’est bien dit : on vous met au défi de ne pas vous reconnaître dans l’une ou l’autre des interrogations de « Coincée », « Étouffé », ou pourquoi pas « Oh mama », sur le deuil, les infidélités, mais aussi nos ambitions, nos rêves et autres désillusions, auxquels Cheryl Strayed répond avec sa puissante plume. Formules chocs pour conclure en sus.

Une plume qualifiée par certains de « radicalement empathique », un qualificatif qui sied franchement bien à l’autrice, qui ne manque pas non plus de tendresse, comme en témoignent ses « mon chat » et autres « sucre d’orge » déposés ici et là. « On souffre tous. On a tous nos combats, on se sent tous seuls parfois, sait trop bien Cheryl Strayed. Personne ne sait ce qui se passe chez l’autre. Et pourtant, il y a presque tout le temps quelque chose qui se passe. Alors oui, j’ai beaucoup d’empathie pour les gens. Cela fait partie de qui je suis. Et écrire cette rubrique a renforcé encore plus cette empathie. »

« L’espoir d’aider »

Quand elle a commencé (gratuitement et en prime anonymement), Cheryl Strayed a d’abord cru que la tâche serait « amusante ». Rapidement, elle a compris que l’affaire n’avait rien de léger et que cela se rapprochait drôlement de tout ce qu’elle avait toujours fait, à savoir « [s’]interroger sur la nature humaine ». « Et j’y mets autant de cœur et d’intelligence que dans tout ce que je fais. » Mieux :

C’est le travail dont je suis le plus fière à ce jour.

Cheryl Strayed, autrice

« Dans ma vie, les livres ont été une telle consolation, poursuit-elle. Dear Sugar me permet de faire ça : raconter une histoire dans l’espoir d’aider. »

C’est effectivement sa démarche : raconter une histoire, souvent la sienne, pour tirer des réflexions inédites, quoique jamais gratuites. La lettre (incluse dans le livre) qui l’a d’ailleurs lancée dans cette voie était moyennement invitante : « C’est quoi, ce bordel ? », demandait tout simplement un lecteur. Cheryl Strayed y est allée d’un long et audacieux détour, racontant avoir été agressée enfant, pour conclure : « Ce bordel, c’est ta vie. Réponds-y. »

Déstabilisant, vous dites ? Il fallait oser, et c’est depuis sa marque de commerce : « D’une certaine manière, ç’a été ma façon de dire : ceci n’est pas un courrier du cœur ordinaire », explique Cheryl Strayed, qui a le don de trouver la question « sous-jacente » derrière l’interrogation apparente. « Finalement, cette personne me disait : de quoi suis-je responsable dans ma vie ? Et moi, je dis : vous êtes responsable de tout […], c’est à vous de décider d’endurer, de transformer, et de poursuivre à partir de là », résume-t-elle, s’inspirant ici de son vécu, mais aussi de ses instincts et de ses réflexions.

Pourquoi on aime, pourquoi on souffre, qu’est-ce qui fait qu’on rebondit, ce sont des questions que je me pose tout le temps comme autrice !

Cheryl Strayed, autrice

À la lecture de ses nombreuses anecdotes, une question se pose : faut-il avoir autant souffert pour être de si bon conseil ? « Pas nécessairement », répond l’autrice, qui a vécu son lot de défis, à commencer par le cancer et la mort prématurée de sa mère. « Mais l’expérience nous aide certainement… »

À noter qu’elle ne règle évidemment rien des problèmes des autres. Mais aide plutôt ses correspondants (nous inclus) à voir les choses autrement et à naviguer à travers leurs enjeux pour trouver la force de regarder de l’avant.

Souvent, cela revient d’ailleurs à se poser en « une meilleure version de soi-même », constate-t-on. « Je ne veux pas dire qu’il faut toujours travailler sur soi, ce serait culpabilisant, rétorque Cheryl Strayed. Mais oui, je pense que les gens font toujours de leur mieux, et qu’ils peuvent être encore meilleurs. Cela nécessite de la compassion face à soi-même et de la compassion face aux autres. Je crois, oui, qu’il y a toujours moyen d’aller dans une bonne direction dans nos vies. »

Qui est Cheryl Strayed

Cheryl Strayed a écrit Wild (2012), roman autobiographique sur une randonnée en solitaire sur le Pacific Crest Trail (1700 km), adapté au cinéma par Jean-Marc Vallée (2014), avec Reese Witherspoon dans le rôle principal.

L’autrice signe aussi, à partir de 2010, un courrier du cœur baptisé Dear Sugar, dans le journal littéraire The Rumpus.

Plusieurs de ses chroniques sont rassemblées en 2012 sous forme de recueil : Tiny Beautiful Things : Advice on Love and Life from Dear Sugar.

Une série inspirée de ses textes (Tiny Beautiful Things) est aussi diffusée depuis peu sur Disney+.

Ces petits riens qui font tout

Ces petits riens qui font tout

Michel Lafon

379 pages