Après avoir terminé ma lecture de Ptoma de Nicolas Lévesque, il y a un an, je lui ai écrit pour lui demander s’il voulait être mon psy. Il racontait dans ce livre-là des expériences vécues dans son cabinet avec des patients, et des solutions tout humaines trouvées pour dénouer, ou parfois accepter, les nœuds de la vie, tout simplement.

Pour Lévesque, la psychothérapie n’est pas nécessairement une réponse à une maladie. C’est un moyen, au même titre que la culture, d’apprendre à se connaître, d’être accompagné, un peu comme dans la relation maître-apprenti de l’Antiquité, « qui fonctionnait quand même assez bien ! », m’a-t-il lancé au bout du fil. C’est un lien privilégié avec quelqu’un qui nous suit et nous connaît intimement, pour apprendre à mieux vivre, et mieux vivre commence par savoir qui on est au fond de soi. Son plus récent livre, tout juste arrivé en librairie, Un psy au micro, ajoute : cette relation devrait être accessible à tous.

À ma candide demande l’an dernier, Lévesque a répondu tendrement par un refus, en me disant que nous aurions à nous croiser dans le monde professionnel sans doute, vu notre appartenance réciproque au monde littéraire, et que ce n’était pas une bonne idée. Tiens donc, nous y voilà. Il venait de lire un de mes propres livres, autour du deuil de mon père, et m’a donné une liste de gens à appeler sans faute, « si tu as besoin de parler ». Ça se passe très bien, pour les intéressés, mais je dois dire que si ma psy racontait ma vie dans un livre, je serais peut-être un peu en maudit.

A-t-il eu des patients fâchés de se voir disséqués sous sa plume, brisant le quatrième mur de la mise en scène thérapeutique ? « Oui, ça s’est présenté, avec mes deux livres précédents, Phora et Ptoma. »

Certains n’ont pas du tout aimé qu’on les raconte ainsi au grand jour. Mais bien sûr, pour le lecteur, surtout celui qui n’a jamais refermé une porte de cabinet derrière lui, peut-être, une grande partie de l’intérêt est là.

La curiosité est grande et la satisfaction de voyeur est énorme en le lisant. « Je ne sais pas si je le referais. Sur le plan déontologique, j’étais correct, mais sur le plan éthique, je me pose encore la question. » L’intérêt du psy dans cette démarche, c’était de faire descendre ses idées des hauteurs théoriques pour les incarner concrètement dans ses essais, alors que Freud lui-même racontait ses cas dans ses écrits.

Faire circuler les idées

Un psy au micro, qu’il est pas mal moins stressant de publier, m’a dit Lévesque, est plutôt composé de chroniques livrées çà et là à Radio-Canada, à la défunte émission Plus on est de fous, plus on lit notamment. Marie-Louise Arsenault, dans une boutade mémorable, est vue par l’auteur comme sa psy à lui. Je dois dire que cela m’a fait penser aux vertus thérapeutiques de mes années auprès de Serge Bouchard, qui, comme le psy caricatural classique, aimait souvent ne presque rien dire quand je le visitais. Jean-Philippe Pleau, qui publie le 2 février un premier essai chez LUX, plaisantait alors en disant que Serge allait parfois « prendre un café » pendant que je jasais.

Lévesque commence son livre par une sorte d’annonce de deuil de son appartenance à Plus on est de fous, mais aussi, ai-je eu l’impression, de ses 11 ans de collaboration à diverses émissions radio-canadiennes. « Peut-être, je ne sais pas, » a-t-il réagi, tout en comprenant qu’il donne cette impression, puisque le deuil est une source essentielle de son écriture.

Pendant ces 11 ans, il a fait le pari du « cheval de Troie » médiatique. « C’est important pour moi que toutes ces idées ne restent pas dans Outremont. » Son père a vécu une vie d’intellectuel plus hermétique, mais le fils a besoin d’autre chose. Claude Lévesque, légendaire professeur de philosophie à l’Université de Montréal qui m’a ouvert les yeux à la déconstruction de Jacques Derrida il y a 20 ans, est quand même resté pas mal dans sa tour d’ivoire, selon Nicolas. Et quand un fils vient de la bourgeoisie cultivée, m’a-t-il résumé, il cherche souvent ensuite à toucher le plus grand nombre dans sa propre vie adulte. Dire que je me suis reconnu dans cette phrase serait un euphémisme.

On trouve dans ce livre des psychanalyses de Mary Poppins (la nanny-psychanalyste), James Bond (que cache l’ultramacho ?) et Michael Corleone (liberté contre emprise familiale).

Ces figures sont au début de l’ouvrage, pour que le cheval entre dans Troie. Ensuite, on ouvre tranquillement son ventre : on a Roméo et Juliette, et puis hop, madame Bovary et tout à coup une autocritique des préjugés de l’auteur quant au terme « holistique ». Ce livre montre, par sa forme éclatée et son fond bigarré, que penser est pertinent partout, tout le temps, pour tout le monde. Pourvu que ce soit fait avec cœur, et pas seulement dans la tête.

Lors de notre entretien, Lévesque m’a donné ce scoop littéraire. L’an prochain, il quittera complètement sa pratique de psy pour se consacrer à temps plein au monde de l’édition, au sein du Groupe Nota bene. C’est comme si depuis longtemps, m’a-t-il dit, il travaillait en commando dans son écriture, seul contre le monde. Mais là, ce qu’il veut, c’est bâtir une armée de la prose de combat. Préparez vos manuscrits.

Un psy au micro

Un psy au micro

Varia

204 pages