Le royaume désuni, c’est la grande histoire d’une petite famille anglaise. Une famille de « gens ordinaires », inspirée en partie par la sienne, que Jonathan Coe raconte avec humour et tendresse, sur sept décennies, dans ce qui est sans doute son plus grand roman à ce jour.

De son enfance, Jonathan Coe garde le souvenir de son grand-père qui, comme ses tantes et ses grands-tantes, travaillait à l’usine Cadbury de Bournville – fleuron britannique qui est au cœur de son nouveau roman. Tous les vendredis après-midi, celui-ci lui rapportait des sacs entiers de chocolats invendables, raconte-t-il par vidéoconférence de Londres, où il habite.

« Je dis volontiers que mes madeleines de Proust sont une barre de chocolat Cadbury », dit l’auteur de Testament à l’anglaise, sourire en coin.

Une barre de chocolat qui se déballe en rappelant le Jour de la Victoire, en mai 1945, une Coupe du monde mémorable, disputée à Wembley en 1966, quelques films de James Bond, un couronnement, un mariage royal… autant de petits et de grands évènements qui voient les membres de la famille Lamb du roman se retrouver pour souligner ensemble les moments qui ont jalonné leur vie au fil des décennies.

« La plupart de mes livres sont campés dans l’ici et maintenant ou le passé récent, et c’est assez inhabituel pour moi de remonter jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, au fil de 75 ans de vie britannique », remarque-t-il.

Mais les circonstances de la mort de sa mère, en juin 2020, isolée de ses proches et sans traitement pour soulager la douleur, le laissent triste et en colère. Un sentiment que l’écriture n’a pu résorber. « La douleur est toujours là », dit-il simplement.

Quand ma mère est morte, je voulais écrire sur elle, mais je voulais écrire quelque chose qui engloberait la majeure partie de sa vie.

Jonathan Coe

Il y avait aussi ce désir d’écrire un roman sur « l’état de la nation », qui remonterait à la fin de la guerre et se concentrerait sur cette identité anglaise (« Englishness ») qui a mené le pays à la « situation politique particulière » dans laquelle il se trouve aujourd’hui. « La réaction chimique entre ces deux impulsions a donné naissance à ce livre, ajoute-t-il. La plupart des détails du livre sont personnels et autobiographiques. »

Un roman personnel… et politique

Comme la sienne, la famille du roman pourrait très bien avoir pour devise, selon lui, « tout pour une vie tranquille ».

« On ne s’est jamais affrontés ; on n’a jamais parlé ouvertement de questions délicates – une manière de faire qui est, selon beaucoup de gens, typiquement anglaise. On a toujours tout balayé sous le tapis en préférant maintenir une façade polie, et c’est encore de cette manière que je préfère agir. Mais le moment arrive où ce n’est plus suffisant, à plusieurs égards. »

Si Le royaume désuni est son roman le plus personnel à ce jour, c’est aussi le livre le plus politique de l’écrivain qui a notamment abordé la crise socio-politique du pays dans Le cœur de l’Angleterre. À son avis, cette façon d’éviter les sujets délicats en famille est le reflet – à plus grande échelle – de ce qui se passe en ce moment au Royaume-Uni, par rapport au Brexit : « On est en train de prétendre, en quelque sorte, que ce n’est jamais vraiment arrivé et on n’en assume pas les conséquences – bonnes ou mauvaises. »

Je pense que nous avons atteint ce stade où, qu’il s’agisse des changements climatiques, de la guerre en Ukraine ou peu importe, on doit montrer ses couleurs, exprimer ce en quoi on croit, et prendre position.

Jonathan Coe

Boris Johnson occupe même une place fugitive dans le roman, faisant son apparition dans l’histoire dès la fin des années 1990. « D’une certaine manière, cela pourrait paraître surprenant de retracer ses années en tant que journaliste à Bruxelles jusqu’à son poste de premier ministre d’un Royaume-Uni post-Brexit ; mais en fait, quand on y regarde de plus près, cela prend tout son sens et aurait même pu être prévisible. »

Quelles leçons pouvons-nous donc tirer du passé, quand on observe le chemin parcouru depuis ces sept décennies ? « Plus ça change, plus c’est la même chose », dit Jonathan Coe, citant l’adage qui revient à plusieurs reprises dans Le royaume désuni.

Le royaume désuni

Le royaume désuni

Gallimard

496 pages