Colson Whitehead a déjà confié en entrevue qu’il adorait les films de cambriolage (heist movies en anglais) et c’est ce qui l’a inspiré à écrire Harlem Shuffle : l’histoire de Ray Carney, fils d’un petit bandit sans envergure qui rêve d’une vie respectable, mais dont le passé et les mœurs familiales finissent par le rattraper.

Marié, père de famille, Ray rêve de gagner le respect de ses beaux-parents qui le considèrent comme un plouc. Il voudrait pouvoir offrir à sa famille un appartement plus grand dans une des belles rues de Harlem.

En surface, il est le propriétaire respectable d’un magasin de meubles, mais dans l’arrière-boutique, il se passe des choses de plus en plus louches qui arrivent par l’entremise du cousin Freddie. Ce dernier convaincra Ray d’embarquer dans un grand coup : le vol des coffrets de sécurité de l’Hôtel Theresa, qu’on appelait à l’époque le « Waldorf Astoria » de Harlem, et où sont débarqués plusieurs personnages mythiques tels Louis Armstrong, Muhammad Ali ou Duke Ellington. Pour Ray, qui rêve de s’extirper de sa médiocrité, l’offre est trop tentante. Son héritage familial est plus fort que tout.

On retrouve dans ce polar les thèmes chers à Whitehead, même s’ils sont enrobés d’humour.

L’action se déroule au début des années 1960 dans un Harlem mythique, et culmine en juillet 1964, au lendemain de l’assassinat de James Powell, un jeune Afro-Américain de 15 ans abattu par un policier blanc qui n’était pas en service. L’évènement déclenchera une série d’émeutes dans les rues de Harlem qui se répandront comme une traînée de poudre aux États-Unis.

Mais Ray, Freddie et la galerie de personnages truculents imaginés par Whitehead ratent complètement ce rendez-vous avec l’histoire des droits civiques américains. Pire encore, ils ont prévu commettre leur cambriolage le 19 juin (Juneteenth), jour de commémoration de l’émancipation des esclaves afro-américains.

On le voit, l’humour de Colson Whitehead est teinté d’un certain cynisme, ce qui ne l’empêche pas d’aborder des questions sérieuses : les liens familiaux, les droits civiques, la lutte des classes, le racisme...

Ceux qui l’avaient découvert avec Underground Railroad ou Nickel Boys, deux romans puissants qui lui ont valu deux prix Pulitzer (!), seront peut-être déstabilisés par cet humour grinçant, mais ceux qui ont lu ses premiers livres retrouveront l’ironie qui permet à Whitehead de traiter des grands déchirements de l’histoire américaine sans se sentir obligé d’appuyer à gros traits.

Harlem Shuffle

Harlem Shuffle

Albin Michel

400 pages

7/10