Remis pour la première fois depuis 2017, le prix Gilles-Corbeil de la Fondation Émile-Nelligan, doté d’une bourse de 100 000 $, célèbre cette année la carrière exceptionnelle de Nicole Brossard, poète, romancière, essayiste, anthologiste, coréalisatrice, théoricienne, éditrice et militante.

« C’est émouvant, a-t-elle confié à La Presse lors d’une entrevue téléphonique. Un honneur qui, dans une certaine mesure, témoigne d’une appartenance à une littérature, à une histoire et à des liens privilégiés avec d’autres écrivains. »

En recevant cette récompense triennale, dont la remise de 2020 a dû être reportée à cette année en raison de la pandémie, Nicole Brossard rejoint Anne Hébert, Réjean Ducharme, Marie-Claire Blais et Michel Tremblay parmi la fine fleur de la littérature québécoise.

Le président du jury, Jean-François Nadeau, a souligné à juste titre la constance et l’énergie de cette œuvre traduite en plusieurs langues.

« La qualité de l’écriture à la fois réfléchie et passionnée de Nicole Brossard ne s’est pas démentie depuis plus d’un demi-siècle. Elle est entrée en littérature dans les années 1960. Elle ne l’a jamais quittée. Et elle n’en a jamais dévié. [Son œuvre] témoigne d’une volonté de rencontres, d’échanges, d’interactions placées à l’enseigne de l’universel, de la fraternité, de l’humanité », a-t-il déclaré.

Le jury du prix se composait également de Martine Audet (poète), de David Bélanger (critique et professeur), de Mathieu Bélisle (essayiste et professeur) et de Marie-Pascale Huglo (auteure et professeure).

Cofondatrice de la revue La barre du jour, Nicole Brossard n’a jamais cessé de s’impliquer dans le milieu littéraire. Sa carrière a été marquée par son militantisme pour les causes féministe et LGBTQ+. Membre de l’Académie des lettres du Québec, elle a reçu plusieurs titres prestigieux, dont ceux remis par les ordres du Québec, du Canada et de la Pléiade.

Toujours écrire

Son plus récent recueil de poésie, L’ongle le vernis, accompagné de tableaux sonores de Symon Henry, a été publié en avril dernier au Noroît. Les nombreux honneurs qui parcourent son immense carrière littéraire ne l’empêchent pas d’être cette « conscience qui écrit ».

« Je suis une femme de questions. Elles se posent de plus en plus dans le monde contemporain. Il n’y a jamais de répit soit pour tenter d’y répondre, soit pour en poser de nouvelles en se désolant lorsqu’elles sont trop difficiles. »

Les préoccupations relatives au temps et à la mémoire existent de façon encore plus insistante de nos jours, croit-elle.

« Je reviens toujours à la question du sens et du non-sens qui s’est posée une première fois avec la conscience féministe et qui se pose à nouveau avec la transformation numérique qui nous touche véritablement dans notre rapport au temps et au corps. On peut faire semblant de rien, mais très honnêtement, c’est impossible d’y arriver face au futur de l’espèce en tant que telle. »

Sa démarche esthétique, faut-il ajouter, a également toujours été au centre de son écriture.

J’écris avec une passion du processus et de l’énigme. C’est ce qui me garde un peu plus vive. Je m’entends très bien avec ces énigmes, parfois très simples, qui me font vibrer de tout l’être.

Nicole Brossard

Les mots posséderont toujours une lumière à ses yeux, des mots qu’il faut conserver en soi et autour de soi afin d’éprouver une certaine joie.

« Le travail de la conscience donne du plaisir. On associe rarement ces deux vérités, pourtant la conscience de certains éléments donne du plaisir même quand il s’agit de réalités détestables. Le seul fait de penser pouvoir les comprendre assure un certain bien-être. »

Grand honneur

Le prix Gilles-Corbeil reste l’une des plus importantes, sinon la plus importante distinction, en littérature québécoise. Il a été attribué, pour la première fois, en 1990, à Réjean Ducharme et, par la suite, à Anne Hébert (1993), Jacques Brault (1996), Paul-Marie Lapointe (1999), Fernand Ouellette (2002), Marie-Claire Blais (2005), Jacques Poulin (2008), Victor-Lévy Beaulieu (2011) et Michel Tremblay 2017).

La Fondation Émile-Nelligan a été créée en 1979 à l’instigation du neveu du poète, Gilles Corbeil, en vue d’honorer la mémoire de Nelligan et d’aider les arts et les lettres. M. Corbeil et les autres héritiers de Nelligan ont convenu d’instituer cette fondation et de céder à celle-ci les droits d’auteur accumulés du poète.

À ce jour, elle a remis plus de 1,6 million de dollars à 75 lauréats et lauréates d’ici œuvrant dans le domaine de la littérature (prix Gilles-Corbeil et Émile-Nelligan), des arts visuels (prix Ozias-Leduc) et de la musique contemporaine (prix Serge-Garant).