Après le très réussi Le lièvre d’Amérique, fable animalière mariant transhumanisme et réalisme magique, Mireille Gagné se glisse cette fois dans la peau (ou plutôt sous l’écorce) d’un arbre avec Bois de fer. Récit d’une transformation qui invite à repenser notre rapport à la nature et à prendre soin du vivant.

Active depuis plus d’une décennie dans le monde littéraire, Mireille Gagné a publié des recueils de poésie, de nouvelles, puis un premier roman, Le lièvre d’Amérique, en 2020 qui a remporté un succès certain, tant auprès du public que du milieu littéraire. « Il y a des livres comme ça qui se mettent à courir tout seuls, souligne-t-elle. Je suis très heureuse du destin de ce livre-là. »

Elle propose ce nouveau livre, un « drôle d’insecte » difficile à définir, touchant à la fois à la poésie, au recueil de nouvelles et au court récit, présentant des liens de parenté assez forts avec son premier roman. « C’est sa suite en quelque sorte, même si je suis allée dans une autre forme », remarque l’autrice.

Suite aussi parce qu’elle s’est retrouvée un peu dans la même situation que son personnage Diane, souffrant de dépendance au travail et d’anxiété de performance : en arrêt de travail, fatiguée, en position horizontale la plupart du temps. « Le lièvre portait un message que je n’avais peut-être pas compris moi-même », réfléchit-elle à voix haute.

Durant ce moment de repos forcé, elle a beaucoup observé la nature, notamment un immense tilleul qui domine son terrain et qui l’a amenée à se questionner sur sa relation avec le senti et le vivant.

« Je ne sais pas si c’est les deux ans de pandémie, mais je ressentais une absence profonde de communication, il y avait quelque chose de bloqué en moi. J’observais beaucoup la nature, et je me demandais comment en prendre soin », raconte-t-elle.

Les arbres ont compris quelque chose de la lenteur que nous n’avons pas compris.

Mireille Gagné

Ce tilleul l’appelait, donc. Elle a commencé à faire des recherches sur les arbres, et ce qu’elle a découvert l’a fascinée : « Les arbres communiquent entre eux, certains peuvent émettre des signaux, envoyer des toxines pour chasser les insectes nuisibles. Ils seraient donc capables de s’entraider, d’anticiper leur milieu extérieur, quelque chose que j’avais l’impression d’avoir perdu. »

PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

Mireille Gagné se glisse « dans l’écorce » d’un arbre dans Bois de fer.

Devenir arbre

« Si un jour vous m’aviez dit que je me métamorphoserais en arbre, j’aurais amorcé des recherches plus exhaustives sur les différentes espèces et leurs caractéristiques afin de connaître celle qui a le cœur le plus dur. »

C’est ainsi que s’amorce Bois de fer. Au fil de très courts chapitres numérotés, où sont parfois insérés des segments plus techniques sur les arbres, la narratrice y décrit les sensations, inquiétudes, anxiétés, réflexions d’un arbre mal dans son écorce, en rupture avec son milieu, attaqué par des maux visibles et invisibles.

Psy, prof de yoga, médecin, chiro, acupuncteur, les spécialistes conviés à son pied ne peuvent rien y faire : « Malgré tous les efforts investis pour lâcher prise, je repère toujours une surface, votre œil, une flaque d’eau, un souvenir, une fenêtre, où mon image se reflète inachevée. »

Mireille Gagné a passé des mois à écrire ce livre, puis a envoyé le manuscrit à La Peuplade, son éditeur. Deux jours plus tard, la Ville de Québec, où elle demeure, a fait un élagage « majeur » de son tilleul, le laissant défiguré. « Je suis restée ébahie par ça. Ça faisait des mois que je me projetais dans cet arbre, j’étais devenue ce tilleul-là, à analyser le comportement des arbres par rapport à notre comportement à nous. Ça m’a vraiment sciée en deux ! »

Un évènement fâchant qui a ajouté une couche écologiste plus affirmée à son livre. « Notre nature de banlieue ou de ville, j’ai souvent l’impression qu’elle est sur des petites plaques de Lego avec des arbres qu’on déracine, qu’on enlève et qu’on replante. Mais la nature est tellement plus vaste et complexe que ça. En prendre soin, prendre soin de nous… Ça venait renforcer l’idée de la discussion que je voulais ouvrir. »

Discussion qui aborde aussi la question de la santé mentale, de la fatigue de l’humain à évoluer dans ce monde qu’il a construit, et de la façon de se reconstruire après avoir été brisé. L’image du bois de fer, l’ostryer de Virginie, un arbre au bois si dur qu’il est difficile à fendre à la hache, l’a beaucoup inspirée. « Je suis un tilleul et je voudrais tellement être un bois de fer, ne pas fendre ! Mais si on casse, il faut apprendre à devenir plus fort… Faire cette quête intérieure, écrire ce livre, ça m’a vraiment fait du bien. »

Bois de fer

Bois de fer

La Peuplade

212 pages