(Stockholm) L’écrivaine française Annie Ernaux, qui a extrait sa propre biographie pour explorer la vie en France depuis les années 1940, a reçu jeudi le prix Nobel de littérature pour ses ouvrages qui jettent la lumière sur les coins obscurs de la mémoire, de la famille et de la société.

L’autrice de 82 ans a été saluée pour le « courage et l’acuité clinique avec lesquels elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle ». Elle est la première lauréate de littérature française depuis Patrick Modiano en 2014.

Ernaux a déclaré au radiodiffuseur suédois SVT par téléphone que le prix était « un grand honneur » et « une très grande responsabilité ».

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L’autrice a commencé par écrire des romans autobiographiques, mais a rapidement abandonné la fiction au profit des mémoires.

Anders Olsson, président du comité Nobel de la littérature, a mentionné qu’Ernaux s’était décrite elle-même comme « une ethnologue » plutôt qu’une écrivaine de fiction.

Écriture sans compromis

Ses plus de 20 livres, la plupart très courts, relatent des évènements de sa vie et de la vie de ceux qui l’entourent. Ils présentent des portraits sans concession de rencontres sexuelles, d’avortements, de maladies et de la mort de ses parents.

M. Olsson a déclaré que le travail d’Ernaux était souvent « sans compromis et écrit dans un langage simple, épuré ».

« Elle a réalisé quelque chose d’admirable et de durable », a-t-il déclaré aux journalistes après l’annonce à Stockholm, en Suède.

Ernaux décrit son style comme une « écriture plate », une vision très objective des évènements qu’elle décrit, non façonnée par une description fleurie ou des émotions accablantes.

Le livre qui l’a fait connaître est La place, dans lequel elle parle de sa relation avec son père. En 2000, elle fait paraître L’évènement, qui décrit les conséquences de l’avortement illégal.

Son livre le plus acclamé par la critique est Les années, publié en 2008, dans lequel elle se décrit elle-même et la société française de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours. Contrairement aux livres précédents, dans Les années, Ernaux écrit sur elle-même à la troisième personne. Le livre a reçu de nombreux prix et distinctions.

Controverses sur le prix

Annie Ernaux n’est que la 17e femme parmi les 119 lauréats du prix Nobel de littérature. Le prix a longtemps été critiqué pour être trop axé sur les écrivains européens et nord-américains, et sur les auteurs masculins.

Le prix de l’année dernière avait été décerné à l’écrivain d’origine tanzanienne et établi au Royaume-Uni, Abdulrazak Gurnah, dont les romans explorent l’impact de la migration sur les individus et les sociétés. Gurnah n’était que le sixième lauréat du prix Nobel de littérature né en Afrique.

« Nous essayons d’élargir la portée du prix Nobel, mais nous devons nous concentrer sur la qualité littéraire », s’est défendu M. Olsson.

Les prix décernés à Gurnah en 2021 et à la poétesse américaine Louise Glück en 2020 ont aidé le prix de littérature à sortir d’années de controverse et de scandale.

En 2018, le prix a été reporté après que des allégations d’agressions sexuelles eurent secoué l’Académie suédoise, qui nomme le comité de littérature Nobel. L’académie s’était réorganisée, mais avait fait l’objet d’autres critiques pour avoir décerné le prix de littérature de 2019 à l’Autrichien Peter Handke, qui a été qualifié d’apologiste des crimes de guerre serbes.

Semaine des prix Nobel

Une semaine d’annonces de prix Nobel a commencé lundi avec le prix de médecine honorant Svante Pääbo, un scientifique qui a percé les secrets de l’ADN de Néandertal.

Trois scientifiques ont remporté conjointement le prix de physique, mardi. Le Français Alain Aspect, l’Américain John F. Clauser et l’Autrichien Anton Zeilinger ont démontré que de minuscules particules peuvent conserver une connexion les unes avec les autres même lorsqu’elles sont séparées, un phénomène connu sous le nom d’intrication quantique, qui peut être utilisé pour l’informatique spécialisée et pour crypter des informations.

Le prix Nobel de chimie a été décerné mercredi aux Américains Carolyn R. Bertozzi et K. Barry Sharpless, ainsi qu’au scientifique danois Morten Meldal, pour avoir développé un moyen de « coller des molécules ensemble », qui peut être utilisé pour explorer les cellules, cartographier l’ADN et concevoir des médicaments qui peuvent cibler plus précisément des maladies comme le cancer.

Le prix Nobel de la paix 2022 sera annoncé vendredi et le prix d’économie, le 10 octobre.

Les prix sont accompagnés d’une récompense de 10 millions de couronnes suédoises (1,2 million $) et seront remis le 10 décembre. L’argent provient d’un legs laissé par le créateur du prix, l’inventeur suédois Alfred Nobel, en 1895.

Les grandes dates de la vie d’Annie Ernaux

Voici quelques dates dans la vie de l’écrivaine Annie Ernaux.

— 1er septembre 1940 : naissance d’Annie Duschesne à Lillebonne (Normandie).

— 1971 : agrégation de Lettres modernes.

— Été 1958 : « dépucelage de la honte » lors d’une colonie de vacances, raconté dans Mémoire de fille.

— 1963 : avortement clandestin, raconté dans Les armoires vides.

— 1967 : mort de son père.

— 1974 : publication de son premier livre, Les armoires vides, chez Gallimard.

— 1977 : installation à Cergy-Pontoise. Elle devient professeur au Cned, centre d’enseignement à distance.

— 1980 : alors mère de deux enfants, elle divorce.

— 1984 : prix Renaudot pour La place.

— 2019 : finaliste du Booker International Prize pour Les années, après sa traduction en anglais.

— 2022 : lauréate du Prix Nobel de littérature.