Avec Une de moins, Chrystine Brouillet marque un jalon dans la littérature policière au Québec en signant le 20e roman de son enquêtrice fétiche, Maud Graham. Dans ce nouveau polar, la policière qui a été témoin des crimes les plus sordides depuis les années 1980 se retrouve confrontée à la vague de féminicides qui a frappé la province avec la pandémie. Nous avons rencontré l’écrivaine alors que le livre arrive ce mercredi en librairie.

Elle nous accueille dans sa maison du Plateau Mont-Royal avec une tasse de thé vert japonais et des muffins à la fleur d’oranger, sous les regards malins de son chat Zéphyr, un cornish rex au caractère joueur qui prend plaisir à grimper avec adresse sur les meubles comme sur les cadres les plus effilés.

Entre deux sauts périlleux du félin, Chrystine Brouillet revient sur ce journal de pandémie qui a servi de point de départ à Une de moins. « En date du 18 mars 2020, j’avais noté que les femmes étaient enfermées avec leur bourreau. Qu’il y aurait plus de violence conjugale et de meurtres. J’aurais aimé ça me tromper. Malheureusement, c’est ce qu’on a vu avec la recrudescence des féminicides », dit-elle.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Chrystine Brouillet, son chat Zéphyr en arrière-plan

Pendant un an, elle a noté tous les détails de ce quotidien pandémique qu’elle était sûre qu’on finirait par oublier. De même que les noms de ces femmes tuées par leur conjoint, parsemés au fil du récit et qui ne manquent pas de nous frapper ainsi mis bout à bout.

« Au moment où j’écrivais dans le roman le nom de ces femmes, j’étais rattrapée par d’autres femmes qui se faisaient tuer. L’histoire se termine en juillet 2021, mais il y en a eu d’autres après ; j’aurais pu en rajouter sept ou huit », se désole-t-elle.

Une intrigue complexe

Dans ce polar social collé à l’actualité, l’écrivaine aborde la violence faite aux femmes à travers l’histoire d’une brillante chercheuse qui a fui Montréal pour s’éloigner d’un conjoint dangereux. On a également droit à une incursion perturbante au cœur de la haine qu’expriment en ligne ces hommes qui détestent les femmes.

« Je ne suis quand même pas allée jouer dans le dark web… Heureusement, j’ai des complices policiers que j’appelle chaque année parce que ces parties-là sont laborieuses pour moi », admet celle qui dit « détester » la technologie.

Mis à part les défis technologiques auxquels la policière autant que l’écrivaine ont dû s’adapter, l’enquêtrice est peut-être devenue plus pessimiste avec la recrudescence de meurtres, relève Chrystine Brouillet.

Mais s’il y a une différence entre ce que je faisais au début et maintenant, c’est que comme je connais Maud Graham, je ne me pose plus de questions par rapport à elle. Ça me donne une aisance pour les nouveaux personnages et ça me permet de faire des intrigues plus compliquées.

Chrystine Brouillet

Dans Une de moins, ce sont d’ailleurs quatre intrigues qui s’entremêlent pour finalement se rejoindre de façon surprenante, même si Chrystine Brouillet confie s’être arraché les cheveux pour en arriver à un tel résultat.

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Chrystine Brouillet et son chat Zéphyr

« Moi qui m’imaginais le contraire avec l’âge, je suis déçue, s’esclaffe-t-elle. J’écris toujours dans le doute ; je suis une psychorigide angoissée qui ne se guérit pas. J’aime ce métier, c’est un métier passionnant qui m’a fait rencontrer des gens formidables, mais quand les gens me disent que j’écris dans le plaisir… non, non, non. Le plaisir, pour moi, c’est de retrouver des amis, faire la cuisine, découvrir un auteur. »

Un après-Maud Graham ?

Bien sûr, cette 20e enquête de Maud Graham ne rajeunit pas l’enquêtrice, qui effleure l’idée de la retraite dans le roman. « Elle a passé 50 ans ; je ne connais pas de policiers qui travaillent jusqu’à 70 ans, c’est un métier qui est trop dur. Maud ne peut pas continuer éternellement, mais je ne suis pas assez folle pour la tuer ! », lance l’écrivaine.

« L’arrivée de Tiffany McEwen et de Marie-Pier Beauchamp au poste a changé la donne ; et elle a une super belle entente avec Michel Joubert, le chum de Grégoire. C’est une belle équipe, elle a tout ce qu’elle veut. Pourquoi elle partirait maintenant ? »

Si Chrystine Brouillet planche déjà sur son prochain polar, elle n’est pas encore certaine que ce sera « un Maud Graham ». Mais une chose est sûre : la disparition de l’enquêtrice de ses romans n’est pas pour demain, puisqu’elle compte bien la faire intervenir dans les affaires de son fils adoptif, Maxime, qui est désormais patrouilleur à Longueuil. Une ville intéressante avec un chef de police moderne, à son avis, et où son contact, le policier Ghislain Vallières (rencontré grâce à la journaliste Monic Néron), l’a « pilotée à travers tout ce qui se passe ».

« Mettons que Maxime est une bonne option. Et qu’il soit à Longueuil, moi, ça fait mon affaire, parce qu’il y a plus d’action qu’à Québec. » Nous voilà avertis.

Une de moins

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Druide

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