Que reste-t-il quand quelqu’un disparaît ? Qu’est-ce qui arrive à ceux et celles qui restent ? C’est la question que se pose Dominique Fortier dans Quand viendra l’aube, livre délicat et personnel qui arrive six mois après son précédent, Les ombres blanches, et qui en est un peu l’autre facette.

« Les ombres blanches, c’était le volet création. Celui-là, c’est une sorte de carnet de réflexions sur les mêmes thèmes. » Quand viendra l’aube est une espèce de traversée de l’après, alors qu’il faut continuer à vivre avec l’absence, le manque. C’est le chemin qu’a parcouru Dominique Fortier après la mort de son père, dont elle cherche les traces dans ses souvenirs, et qui trouve consolation en observant le monde qui l’entoure.

« Ce n’est pas un livre sur la mort, mais sur la vie. C’est cette recherche, comment trouver les choses qui nous aident à continuer à habiter le monde qui est changé quand il y a quelqu’un qui disparaît. »

Quand viendra l’aube est le genre de livre qu’on lit en cornant presque toutes les pages tellement les phrases et la pensée y sont concentrées, précises. C’est aussi le premier livre complet de non-fiction de Dominique Fortier, et de loin son plus intime.

« C’est pour ça que je le sens très fragile. Et moi aussi. »

Monde sensible

On a l’impression que Quand viendra l’aube vient clore un triptyque amorcé avec Les villes de papier, ce si beau livre consacré à la poète américaine Emily Dickinson qui lui a valu le Renaudot en France il y a deux ans. Mais l’autrice ajoute à ce cycle Pour mémoire, qu’elle a écrit avec Rafaële Germain, qui déjà s’intéressait au souvenir, à la transmission et à l’héritage.

« Ce qui réunit l’ensemble de ces livres, c’est une volonté d’être attentif au monde qui nous entoure. »

Ce « rapport au monde super intense » d’Emily Dickinson la fascinait, et il y a dans Quand viendra l’aube le même souci du détail, un regard attentif sur les couleurs, les textures, les objets, les lieux.

Le monde sensible, c’est une vraie présence pour moi. J’ai l’impression qu’on a beaucoup oublié comment regarder. On n’a jamais le temps de s’arrêter pour voir ce qu’il y a autour de nous. Et en nous.

Dominique Fortier

L’idée est de « consigner sur papier » les émotions, les sensations, les impressions qui sont suscitées, et qui par essence sont « fugaces et fragiles ». « Comme un papillon, une fleur asséchée. Pour qu’il en reste quelque chose après un ou deux hivers. »

Le pouvoir de la littérature

Dans ce court livre tout en fragments, écrit très tôt le matin alors que « le rêve, le deuil et l’écriture se fondaient ensemble », Dominique Fortier convoque les choses, mais aussi la littérature. De Ronsard à Rebecca Solnit en passant par Leonard Cohen, toute une constellation d’écrivains viennent éclairer le monde d’une autre lumière.

La littérature protège et console, mais elle te force aussi à sortir de toi et aller dans plus grand. Je pense que les livres nous aident à vivre, qu’ils ont cette utilité très réelle, très pratique.

Dominique Fortier

C’est là que l’écrivaine a toujours trouvé refuge, et c’est probablement le plus grand héritage de son père bibliothécaire. Que lui a-t-il laissé d’autre ? « Parfois, ce sont des choses en creux que les gens nous laissent. » Dans son cas, cet homme qui avait bien fait attention de ne pas laisser de traces… lui a laissé ce besoin d’en laisser. « Ça fait probablement partie de ce qui m’a poussée à aller vers l’écriture. »

Elle a hérité de son tempérament, de ses qualités comme de ses défauts, ajoute-t-elle avant de faire une pause. « Mais la vraie réponse, c’est la conscience que la vie est courte et l’urgence de faire les choses. Cette conscience aiguë que rien ne dure pour toujours, que les choses sont éphémères, et précieuses parce qu’elles le sont. Comme dans le poème de Ronsard, il faut cueillir les roses de la vie ! »

Au bout de sa quête, l’écrivaine n’en veut pas à son père d’avoir si peu laissé d’empreintes derrière lui. Il n’y a d’ailleurs aucun ressentiment dans le livre, plutôt de l’amour et beaucoup de bienveillance. « Il ne pouvait pas faire autrement. C’était vraiment sa nature. »

Vers la fiction

Ce livre très intime, elle le lance aujourd’hui dans le monde avec un petit frisson d’effroi, mais l’espoir qu’il soit utile « dans ses modestes moyens ». Parce que faire partager la souffrance et la vulnérabilité est pour elle « profondément humain ». « Dans le livre, je cite un postfacier d’Emily Dickinson, qui dit que la poésie est précieuse parce qu’elle nous aide à vivre et nous prépare à mourir, quelque chose comme ça. »

Elle aime d’ailleurs de plus en plus se réfugier chez des auteurs comme Christian Bobin, qui écrit ce genre d’ouvrage. « Et on écrit toujours un peu les livres qu’on a envie de lire. » Est-ce à dire qu’elle ne fera plus de fiction ?

« Ben non, je vais en écrire encore ! Je suis en train d’en écrire une, mais comme un concentré. Un roman dont tu enlèverais les longues descriptions, les articulations, les transitions. Où il resterait comme une essence de fiction. »

Ce qui est certain, c’est qu’elle a fini de parler d’Emily… et d’elle-même. « C’est bon, j’ai fait le tour. Je me suis assez vue. J’avais des choses très personnelles à explorer et j’avais envie de les partager, car je pense qu’elles touchent à quelque chose d’universel. Mais là, j’ai le goût de sortir de moi pour vrai et d’aller complètement ailleurs. »

Quand viendra l’aube

Quand viendra l’aube

Alto

104 pages