Écrire son autobiographie à seulement 34 ans ? L’offre a pris l’ingénieure en aérospatiale Farah Alibay de court. Elle a saisi l’occasion pour parler de son expérience à la NASA, mais surtout pour raconter que derrière sa réussite se cache un parcours parsemé d’embûches… et d’alliés précieux.

Les enfants qui ont grandi au tournant des années 1980 se rappellent peut-être la série de livres « Un bon exemple » publiée par Grolier. Ils racontaient les parcours de gens comme Margaret Mead, Marie Curie, Louis Pasteur ou Maurice Richard, chacun associé à un thème comme la curiosité, la confiance en soi ou la ténacité.

Mon année martienne, l’autobiographie de Farah Alibay qui paraît mercredi, fait penser à ces récits destinés à inspirer. L’ingénieure en aérospatiale, connue pour avoir été aux commandes du robot d’exploration martienne Perseverance, l’a écrit dans le but de faire partager son expérience à la NASA, mais surtout le long chemin qui l’a menée là.

L’idée, dit-elle, était de raconter ce qui passe sous le radar lorsqu’on évoque la trajectoire de gens « qui ont réussi ». « Souvent, on ne parle que des réussites, mais on ne voit pas le parcours », observe-t-elle. Le sien a été parsemé d’échecs et de doute.

Sa trajectoire personnelle occupe une grande place dans Mon année martienne. Avant d’être une ingénieure en aérospatiale du Jet Propulsion Laboratory, un centre de recherche affilié à la NASA installé en Californie, Farah Alibay a été une fille d’immigrants à Joliette et une femme dans un monde encore majoritairement masculin. Son livre parle d’ailleurs ouvertement de différentes formes de discrimination.

« Quand j’ai passé par ces moments-là, jeune ou même jeune adulte, j’ai ressenti beaucoup de solitude, raconte-t-elle, attablée dans un café du Mile End. On n’ose pas en parler. Tu penses que c’est ta faute. Tu te sens mal dans une situation, mais tu ne sais pas pourquoi. Ça a fait que je doutais de moi-même. »

Elle a mis dans son livre ce qu’elle aurait aimé lire à 15 ans à propos d’une femme qui évolue dans son milieu. Pour briser l’isolement d’une adolescente — ou d’un adolescent — qui vivrait la même chose qu’elle. Pour montrer qu’on s’en sort, aussi.

Je ne suis pas la seule femme dans mon domaine et je parle dans le livre des modèles que j’ai eus. Je pense que ce sont ces femmes qui ont défoncé les plafonds de verre. Moi, j’enlève les éclats qui restent pour que les suivantes ne s’y accrochent pas trop.

Farah Alibay

Consciente qu’elle peut être vue comme un modèle, Farah Alibay assume totalement cette responsabilité. Ce qui l’a aussi incitée à parler de son appartenance à la communauté LGBTQ+. « La représentation, c’est important, dit-elle. Je ne savais pas que j’étais queer, plus jeune. Peut-être que je le savais un peu, mais que je ne voulais pas : faire partie d’une minorité, c’était déjà assez ! lance-t-elle en souriant. Je voulais partager que cette exploration de soi peut arriver plus tard dans la vie. »

Un ton accessible

Mon année martienne passe de chapitres au propos personnel à d’autres axés sur ses années d’études, son travail à la NASA ou des questions scientifiques. Le ton est toujours le même : chaleureux et accessible. L’autrice fait même des dessins pour expliquer des principes scientifiques plus complexes. Qu’on ait 15 ans ou plus de deux fois cet âge, on s’y retrouve facilement.

Ce qui ressort du livre, c’est surtout le positif : la passion et le fait qu’il y a toujours eu quelqu’un sur son chemin pour lui tendre la main. « J’ai pris conscience en écrivant du nombre de personnes qui m’ont aidée à être ce que je suis : mon grand-père qui a décidé d’éduquer ses filles, mon professeur de mathématiques qui m’a dit ‟vas-y”, mes amies qui sont allées voir la psychologue de l’école quand je n’allais pas bien…

« Ce sont de petites choses très humaines qui font que je me suis rendue où je suis. Le succès, c’est partagé, insiste Farah Alibay, qu’il s’agisse de mon équipe sur Perseverance ou celle qui me soutient dans ma vie. »

PHOTO FOURNIE PAR FARAH ALIBAY

Farah Alibay travaille au Jet Propulsion Laboratory, un centre de recherche spatial géré par le California Institute of Technology et affilié à la NASA. Elle a travaillé à la mise au point et à la conduite du robot martien Perseverance.

L’ingénieure explique aussi ne pas avoir toujours été passionnée par les robots. Ce qui l’habitait et ce qui l’habite toujours, c’est l’une des grandes questions de l’existence : sommes-nous seuls dans l’Univers ? Comme il faut aller « loin en titi » pour trouver des réponses, on a besoin de robots, a-t-elle constaté au fil de ses études.

« Et c’est moins compliqué avec les robots : ils n’ont pas besoin de manger, on n’a pas besoin de les garder en vie, souligne Farah Alibay. C’est plus aventurier aussi [d’envoyer des robots dans l’espace]. » Oui, les scientifiques s’attachent à leurs robots, admet-elle, en rougissant presque. « C’est comme ton bébé ! dit-elle. Ça devient comme une prolongation de soi. »

Après les robots, l’espace ?

L’ingénieure a quitté la mission Perseverance depuis quelques mois et travaille maintenant au système de propulsion d’un télescope qui doit cartographier l’Univers en infrarouge. « Ça va nous aider à comprendre l’expansion de l’Univers et ça peut nous aider à comprendre la formation des galaxies », explique-t-elle.

Rêve-t-elle d’aller un jour dans l’espace ? « Ah oui ! J’ai toujours rêvé d’être astronaute, s’exclame-t-elle, les yeux brillants. Si on me donnait l’occasion d’y aller, j’irais ! »

En librairie mercredi

Mon année martienne

Mon année martienne

Éditions de l’Homme

244 pages