Elle s’est fait remarquer avec La Maison, audacieuse autofiction relatant son passage heureux dans un bordel berlinois. La voilà de retour avec L’inconduite, suite logique et variation sur ce même thème – plus « auto » que « fictif », d’ailleurs –, la sexualité, ici non tarifée et après l’expérience de la maternité.

Avec sa plume libérée et ses réflexions toujours décomplexées, disons qu’Emma Becker n’a pas fini de faire jaser. De brasser les uns, carrément choquer les autres. Peut-on rester femme en devenant mère ? Peut-on rester soi dans le désir des hommes ? Et si, enfin, le bonheur c’était « se distraire de la monogamie par le plaisir » ?

Grandes questions posées d’emblée, explorées (littéralement : concrètement) ici sur plus de 300 pages, avec une décapante lucidité. Certes par moments redondante, après un amant par-ci, un autre par-là, un troisième ailleurs, Emma Becker conclut avec autant de fantasmes que de déceptions. Amères, soit, mais quelque part révélatrices (émancipatrices ?). On ne vous en dit pas plus…

« Le retour de la scandaleuse de Berlin », a titré Technikart, attribuant au récit de cette quête existentielle et sexuelle (parce que oui, il est un peu, beaucoup, question de sexe avec Emma Becker, on l’aura compris) rien de moins que quatre étoiles. « Et si les hommes n’en sortent pas toujours grandis, la littérature, elle, y trouve son compte. »

Et c’est un fait : si elle parle effectivement beaucoup de queues et ne lésine pas sur les descriptions (parce que « tout s’arrange avec une pipe », comme elle dit), Emma Becker manie la plume avec une aisance et une rigueur manifestes.

C’est une femme de lettres et ça paraît. À preuve : « donnez-moi une minute, le temps de chasser mari et enfants », nous a-t-elle écrit, tout naturellement, quelques instants avant notre entrevue, la semaine dernière. Pas de doute, elle est capable d’être aussi vulgaire que littéraire. À l’oral comme à l’écrit.

Forcément, la déception

Croyez-le ou non, mais au départ, ce livre devait porter sur l’« amour fou » qu’Emma Becker porte à son fils, nous dit-elle. Surprise, puisque s’il en est la toile de fond, disons qu’il est très peu question du petit Isidore ici. Plutôt : de ses aventures qu’elle enfile à coup de détails, de tous ces plaisirs et autres coïts qu’elle fabule, ces amours qu’elle s’invente, et dont elle se désillusionne aussi sec. Avant de recommencer de plus belle, dans les bras, la voiture ou le lit d’un autre. Ou du prochain. Sans cesse et ainsi de suite.

Pourquoi, exactement ? Et qu’est-ce qu’elle fuit, précisément ? Son partenaire ? Sa vie ? La vie ?

Quand je me suis rendu compte de comment on conçoit la maternité, à quel point tout repose sur les épaules de la mère, j’étais tellement frustrée !

Emma Becker

L’autrice assume pleinement le côté autofictif du texte, et son « écriture de soi ». Ses nombreuses incartades n’incarnent donc une fuite ni du père ni du patriarcat (« j’aimerais bien, je me rends compte à quel point je suis esclave du regard des hommes, c’est toujours à quoi je reviens, parce que je le connais ! »), mais plutôt une fuite du temps, tout simplement. « Une fuite du temps qui n’arrête pas de passer ! »

Et le titre évoque un peu de cela. Pour fuir, elle s’écarte du droit chemin de la bonne mère, quoi.

Mais pas qu’elle. Tous ces hommes qu’elle croise et enfourche s’écartent tout autant du comportement qu’elle leur fabule. Évidemment : « Ils ne peuvent pas être à la hauteur, explique-t-elle. On ne peut pas s’attendre à ce que les gens atteignent la proportion qu’on leur donne. […] Forcément, la réalité nous fait revenir à la banalité de la vie, et à sa médiocrité. »

D’où l’intérêt de la fiction, comprend-on.

Parlant de médiocrité, impossible de passer sous silence sa déception (désillusion ?) face à la pénétration, au cœur du roman et ici décortiquée à foison. « C’est que ça ? », avance l’autrice, chez qui le désir n’est finalement que « théâtre et illusions ». « Mais où sont les orgasmes à répétition ? […] L’inconduite, c’est ça : ce moment où je m’aperçois que tout ce qu’on nous a vendu, c’est de la merde ! »

C’est d’ailleurs pourquoi elle écrit. « Ce qui me protège de l’ennui ou de la déprime, conclut-elle, c’est l’écriture… »

L’inconduite

L’inconduite

Albin Michel

365 pages