Peut-on séparer l’œuvre de l’artiste ? Est-ce possible de survivre sans présence médiatique en art ? Peut-on créer sans être de son temps ? Ces questions sont abordées dans L’artiste et son œuvre, recueil de neuf essais dirigé par Jérémie McEwen.

Même si l’idée de ce livre provient de l’actualité, les inconduites et agressions dans le milieu artistique, Jérémie McEwen souhaitait élargir la réflexion sans minimiser les souffrances causées par des actes répréhensibles. Pour ce faire, le professeur de philo, essayiste et chroniqueur a réuni huit personnes qu’il admire provenant d’horizons différents : l’animatrice Rebecca Makonnen, la chanteuse Safia Nolin et les comédiens Alexandre Goyette et Marie-Ève Trudel, notamment.

« J’aime choisir un débat et inventer des terrains de réflexion différents. Il y a une unité de propos sans que le livre soit redondant. Je suis content du résultat. Ça me plaît de travailler en réfléchissant dans le plaisir. J’ai l’impression que le livre touche à certaines vérités. »

Avant de recevoir les textes de ses collaborateurs, Jérémie McEwen avait écrit son propre chapitre intitulé L’art du temps, où il parle tant de Michèle Richard que de Dany Laferrière, à propos de la distance entre vie privée et vie publique.

PHOTO MORGANE CHOQUER, LA PRESSE

Jérémie McEwen

On veut toujours voir ce qui se cache derrière la façade des artistes. Les vedettes idéalisées remplacent les figures religieuses. Mais au-delà de leur béatification, c’est vraiment la rencontre médias-arts qui m’intéresse. Depuis les années 1970, on fait de l’identité de la personne et de son art un tout médiatique.

Jérémie McEwen

Le jeune McEwen a vu son père, Jean, travailler et peindre en ermite. C’est un modèle qu’il ne souhaite pas répéter. L’art pour l’art, très peu pour lui. Il préfère diffuser les idées au plus grand nombre possible.

« J’ai embarqué dans la production puisque j’en sors des livres, mais je commence à me remettre en question. On dirait que si on ne suit pas la cadence, même dans le milieu artistique, ça ne marche pas à long terme. Je fais le pari que c’est possible de travailler sur les deux tableaux. »

Points de vue intimes

« J’ai beaucoup aimé le fait que Rebecca Makonnen ne tombe pas dans la cancel culture dans son texte. Elle n’en a pas contre le fait que les chansons de Michael Jackson jouent dans un endroit public, mais en même temps, elle ne peut pas ne pas penser à ses comportements problématiques non plus. »

L’animatrice de Radio-Canada écrit : « Je veux vivre dans une société dans laquelle on croit à la réhabilitation, mais dans laquelle les gestes et les paroles reprochables ont des conséquences. »

Jérémie McEwen souhaitait creuser la complexité du sujet avec des textes allant dans plusieurs directions. D’ailleurs, il souhaite que le public lise les mots de Safia Nolin l’esprit ouvert. La chanteuse livre un texte émouvant sur son combat personnel vers la reconnaissance artistique.

Elle nous confie comment on peut être déchirée par ce qu’on projette extérieurement et vit intérieurement, comment elle finit par séparer les divers aspects de sa vie. Elle met son cœur sur la table.

Jérémie McEwen au sujet de Safia Nolin

Idem pour le texte d’Alexandre Goyette sur le parcours de sa seule pièce de théâtre, King Dave, qui a connu un succès énorme. Jérémie McEwen y voit un document important qui décrit de l’intérieur un parcours de création particulier.

Identité

L’essayiste a, par ailleurs, réalisé une entrevue avec l’artiste visuelle et cinéaste Caroline Monnet au sujet de l’identité et de l’art autochtones.

« Quand on parle d’elle, on pense toujours à son identité métissée. Elle le revendique. Mais en même temps, elle aime qu’on l’approche pour autre chose que ça. L’identité n’est pas le point final d’une production artistique. L’art est une exploration, pas seulement de soi. »

La comédienne Marie-Ève Trudel signe un dialogue amusant entre un artiste et son œuvre à naître au sujet de l’entonnoir qui bloque les programmations théâtrales pour plusieurs années en raison de la pandémie. « C’est la COVID longue artistique », note Jérémie McEwen.

Le texte de l’écrivain Gabriel Cholette aborde le flou du désir et de l’orientation sexuelle dans un texte mi-récit personnel, mi-essai.

« Gabriel démontre une telle fougue pour aller au fond des choses et mettre de la couleur dans ses réflexions. Quand tu prends la peine de le lire, tu constates la profondeur, la subtilité, la sincérité. »

La professeure de littérature Eftihia Mihelakis a écrit, pour sa part, un texte qui n’a pourtant rien de théorique. « Je parle comme je crache », dit-elle. « J’ai été ébranlé parce que c’est une amie et j’ai appris des choses sur elle, confie Jérémie McEwen. Ça pose également des questions d’identité et les attentes que cela provoque. »

En parlant d’agression et d’abus d’un point de vue littéraire, la poète Laurie Bédard « fait atterrir le livre, estime enfin Jérémie McEwen, en faisant écho au texte de Rebecca. Son point de vue est important ».

On laissera donc le dernier mot à cette autrice : « Lorsqu’on réduit un artiste à sa production ou, à l’inverse, une production à l’image que l’on a de l’artiste, on se prive d’en comprendre la complexité. »

L’artiste et son œuvre

L’artiste et son œuvre

XYZ

184 pages