Après À la recherche de New Babylon (La Peuplade, 2015), qui a été traduit en anglais et en espagnol, le deuxième roman de Dominique Scali était très attendu. L’autrice, qui avait choisi le désert américain comme décor de son premier livre, répond cette fois à l’appel de la mer et de la sirène dans Les marins ne savent pas nager.

L’univers de La petite sirène, celle d’Andersen et non de Disney, fascine Dominique Scali depuis longtemps. Les grands espaces l’intéressent, les contes aussi. Pour son deuxième roman en sept ans, elle a donc inventé une île située dans l’Atlantique, Ys, et un personnage féminin fort, Danaé Poussin, qui sait nager, alors que les marins, comme le suggère le titre, ne peuvent que couler.

Danaé vit au XVIIIe siècle. Elle n’a pas d’écailles ni de nageoires, mais son parcours mi-aquatique, mi-terrestre lui fera croiser des personnages colorés. Au gré de ses amours et de ses amitiés, elle alternera entre une vie de sauveuse, puis de naufrageuse, prendra souvent la mer, mais vivra surtout sur le rivage.

La petite sirène d’Andersen est un conte très porteur de sens avec plein de métaphores pour notre époque, comme celles des sacrifices qu’on croit devoir faire par amour. J’étais fasciné aussi par la puissance de l’océan et notre impuissance face à lui.

Dominique Scali

Elle continue de s’attaquer ici à des mythes comme celui du rêve américain, déjà abordé dans son premier livre, ou encore de l’expression « Quand on veut, on peut ». Son roman foisonnant est une histoire de drames maritimes et de joies terriennes, de volonté et de fatalité, de dualité.

« J’éprouve un certain cynisme face à cette notion d’un idéal à atteindre, accessible à tous. J’avais envie de mettre en scène des gens qui sont soumis à l’instabilité de la mer. Je me suis rendu compte que mon écriture comportait beaucoup cette idée du double. Il y a deux Danaé dans le personnage principal, et la navigation inclut cette dualité : ce qui permet de nous rendre quelque part et d’avancer, en mer, risque de nous tuer. »

Lexique marin

Dominique Scali a évidemment lu Moby Dick, de Melville, une foule d’essais et visionné nombre de documentaires à propos des océans. Cette immersion lui a permis d’établir un lexique et d’inventer des dialogues empruntant au vieux français et au québécois.

« Dans ma recherche, Victor Hugo m’a inspiré. Je ne le savais pas au début, mais il a écrit beaucoup de trucs marins. Je me suis mise à broder autour de l’idée de ce qui est vieillot. J’ai utilisé une sorte de code de dialogues. C’était un questionnement constant, la langue. Quand j’ai vu les films de Pierre Perrault, j’ai entendu des gens parler avec dignité. J’ai voulu donner un aspect immémorial au parler des habitants d’Ys. »

Au début de son histoire, Danaé rencontrera une figure paternelle et, à la fin, celle d’un fils qu’elle aurait pu avoir. Entre les deux, sa vie ne sera pas facile, que l’on habite sur le rivage ou dans la Cité à laquelle tout le monde rêve. Un narrateur omniscient au « nous » intervient également à plusieurs reprises.

« La mythologie que j’ai inventée peut être interprétée de différentes façons. Est-ce que le “nous” est de la même époque, est-il d’une idéologie ou d’une autre ? Je ne donne pas la réponse. On découvre cet univers dans les personnages et leurs actions, mais j’avais besoin de donner un peu de contexte autour du récit. »

Mythe

Son personnage principal échappe quelque peu au mythe des rêves qu’on devrait réaliser à tout prix. Elle subit et choisit à la fois son destin en apprenant, entre autres, à naviguer hors de sa zone de confort.

« Je me suis laissé prendre par ma recherche. C’est un processus où la terrienne en moi est devenue un peu marine. J’ai compris des choses par rapport à la vie en lisant sur les océans. Ça témoigne de mon évolution à moi. »

En plongeant dans un espace-temps inventé, l’écrivaine « nostalgique des époques qu’elle n’a pas vécues » a pu affiner sa vision de la nôtre.

« Notre époque est un peu une île. Nous vivons un moment particulier n’ayant rien à voir avec ce qui s’est passé dans l’histoire de l’humanité. J’ai l’impression que les choses se sont faites d’une certaine manière avec des institutions et des rôles fixes pour chacun pendant des millénaires alors qu’aujourd’hui, tout est bouleversé, mouvant. Le sentiment de supériorité qu’on a de vivre maintenant peut être trompeur. Le progrès, c’est souvent de réparer les dégâts des “progrès” précédents. On joue à l’apprenti sorcier avec l’idée de progrès constant. »

Les marins ne savent pas nager

Les marins ne savent pas nager

La Peuplade

728 pages