Dans le jargon du métier, le territoire comanche est cette zone où l’instinct du reporter de guerre lui dit de s’arrêter et de rebrousser chemin, pour sauver sa peau. Celui de l’écrivain espagnol Arturo Pérez-Reverte aura été la Yougoslavie déchirée.

Car avant de se consacrer entièrement à l’écriture, il a été journaliste en zone de conflit pendant une vingtaine d’années. À Chypre, au Liban, au Tchad, au Salvador, au Nicaragua et en bien d’autres lieux, il a appris à apprivoiser le sifflement des balles et des obus, à reconnaître « l’odeur particulière des villes en guerre » que l’on ne peut sentir nulle part ailleurs.

Ce court récit rédigé à Sarajevo et Mostar, en 1993 et 1994, n’a pourtant rien d’un texte personnel, ce qui a le mérite de le rendre d’autant plus intéressant. Ce sont des bribes du quotidien en zone de guerre, entremêlées de souvenirs d’autres conflits, de deux reporters inséparables qui partagent le même humour noir et dont l’un, le caméraman, cultive l’obsession de filmer un pont qui vole en éclats.

Dans cette brève incursion au sein d’un métier dangereux, meublée d’anecdotes savoureuses, on fait connaissance avec des vétérans, ceux qui en ont vu de toutes les couleurs aux quatre coins du globe ; il y a aussi ces journalistes du dimanche, qui arrivent en touristes, ou encore ces gens « étranges » dont les guerres fourmillent, comme cette journaliste allemande qui lançait des miettes aux pigeons et s’emportait quand les bombardements les effarouchaient. Et si l’on se plonge aussi intensément dans le texte, c’est pour la lucarne qu’il entrouvre sur les coulisses d’un univers ayant ses propres règles, loin de toute forme de civilisation et auquel on pourrait difficilement avoir accès autrement.

Territoire comanche

Territoire comanche

Les belles lettres

120 pages

7/10