À la veille de la soixantaine, Brendan peine à joindre les deux bouts. Après avoir été remercié d’un poste de directeur des ventes qu’il occupait depuis 27 ans, il est devenu prisonnier de ce qu’il appelle l’« économie Uber ».

Au volant de sa voiture, il enchaîne des semaines de 60 à 70 heures dans les embouteillages de Los Angeles pour un revenu horaire avoisinant le salaire minimum, et se fait le spectateur désabusé d’une faune urbaine privilégiée qui claque en une heure ce qu’il peine à gagner en une journée entière.

Derrière son volant, il songe également avec amertume et ressentiment à sa vie, à ces choix qu’il n’a jamais réellement faits, cédant aux exigences de son père et à son devoir de bon petit Irlandais catholique pour construire une existence à l’image de celle qu’on attendait de lui – sans risques, mais sans attraits.

Lorsqu’il accompagne une professeure à la retraite jusqu’à une clinique qui pratique des avortements, il y est témoin d’une attaque orchestrée par des militants antiavortement. L’évènement marque un tournant dans sa vie, alors qu’il continue de servir de chauffeur à cette femme qui devient pour lui une véritable amie. « Tous les choix qu’on fait dans la vie sont complexes et teintés d’ambiguïté », dira d’ailleurs celle-ci.

Douglas Kennedy nous entraîne dans une profonde réflexion sur ces choix qu’on fait, délibérément ou non. Sur toutes les ramifications de ces décisions qu’on prend, que ce soit mettre fin à un mariage ou à une grossesse non désirée. Un retour aux sources, en quelque sorte, pour l’écrivain américain dont l’œuvre est traversée de part en part par ces questionnements existentiels soulevés déjà dans L’homme qui voulait vivre sa vie, son deuxième titre qui l’avait révélé au monde entier il y a 25 ans.

Les hommes ont peur de la lumière est un roman sombre, terriblement prenant, qui se fait le miroir d’une nation déchirée entre des idéologies extrêmes – où « le moindre désaccord se règle à coups de revolver », écrit-il avec ce cynisme qui transpire au fil des pages pour dénoncer tout ce qui ronge le pays. Douglas Kennedy va même jusqu’à évoquer une guerre de Sécession moderne à travers le débat sur l’avortement qui fait rage aux États-Unis en ce moment et que rien ne semble pouvoir régler.

Charge contre les extrémistes catholiques, contre l’Église et contre « le mâle blanc qui sent ses privilèges lui échapper et ne reculera devant rien pour garder le pouvoir », Les hommes ont peur de la lumière s’attaque à « ces salopards [qui] ne se plient à aucune règle » et transforment le pays « en république bananière entièrement contrôlée par une élite d’ultrariches ».

Jamais Douglas Kennedy n’aura été aussi engagé et véhément dans son écriture. Et c’est sans aucun doute ce qui fait toute la force et l’attrait de ce roman contemporain.

Les hommes ont peur de la lumière

Les hommes ont peur de la lumière

Belfond

264 pages

8/10