On reste interdit à la lecture de ce 11roman d’Orhan Pamuk dont l’écriture a commencé avant la pandémie. Le Prix Nobel de littérature y relate... les difficultés à imposer des mesures sanitaires dans une île imaginaire de la Méditerranée ravagée par la peste en 1901. Trois ans après avoir entamé son livre, la crise de la COVID-19 commençait ! Roman sur la douleur, la liberté et les extrémismes, Les nuits de la peste mêle fiction et histoire de la Turquie à l’époque de l’Empire ottoman.

Ce long roman – 690 pages – se déroule dans l’île turque de Mingher. On cherche sur une carte. On ne trouve rien. L’auteur veut-il parler de Karpathos, en mer Égée, dont un village se nomme Arkaza, comme Arkaz, la capitale fictive de Mingher ? Peu importe. L’île n’existe pas, mais l’histoire fait penser à un épisode marseillais de 1901. Un bateau en partance pour l’Orient avait dû accoster aux îles du Frioul, au large de Marseille, à cause d’un cas de peste à bord.

Il n’y a toutefois jamais eu de pandémie de peste en 1901. L’auteur a créé ce drame notamment pour évoquer le déclin de l’Empire ottoman. Fondé en 1299, il a étendu son emprise autour de la Méditerranée et de la mer Noire, et de la péninsule arabique aux portes du Maroc, jusqu’en 1922. Les nuits de la peste se déroule en pleine déchéance de ce sultanat allergique à la modernité et à la liberté qui bouleversaient alors l’Europe.

Orhan Pamuk prévient, avec humour, dès le début, que ce mélange de réalité et de fiction découle de 113 lettres écrites entre 1901 et 1913 par la princesse Pakizê, une des filles du sultan Mourad V, à sa sœur, Hatidjê. La princesse et son mari médecin sont en partance pour la Chine pour intervenir dans le conflit qui oppose la Chine aux Occidentaux, dans lequel des musulmans chinois sont impliqués. Mais leur bateau est détourné vers Mingher, où un cas de peste est signalé. Le chimiste du sultan tente de régler le problème.

Sa détermination sera vaine. La population résiste, ne réalisant pas la gravité de la situation. Les citoyens sont fauchés par dizaines. L’auteur vilipende l’aveuglement des habitants, qu’il soit de nature religieuse, politique ou économique. L’opposition aux mesures sanitaires fait évidemment penser aux manifestations antimasques de Québec, Montréal et Ottawa en 2022. D’ailleurs, lors du lancement du roman, Orhan Pamuk a dit avoir eu d’étranges sensations en cours d’écriture, lorsque la pandémie est survenue. L’impression que son histoire avait transmis la COVID-19 au monde entier !

Les nuits de la peste est aussi un roman d’amour et un traité sur les défis du multiculturalisme. Comment chrétiens grecs et musulmans turcs ont vécu ensemble en Méditerranée. Pour le meilleur et pour le pire. Et comment les grandes nations européennes ont longtemps joué le rôle de gendarme local. Si certains passages du roman sont répétitifs, le livre n’en reste pas moins un savant dosage de réflexions sur la nature humaine, sur le manque d’éducation et sur les périls de l’autoritarisme. Un roman malheureusement très actuel.

Les nuits de la peste

Les nuits de la peste

Gallimard

690 pages

7/10