Patrick Delisle-Crevier a perdu sa mère à l’âge de 6 ans. Son père ? Bien qu’il n’habitait qu’à quelques rues, il ne l’a jamais vraiment connu. Roland D. menait non pas une double, mais une triple, voire une quadruple vie, dont Patrick ne soupçonnait pas l’existence jusqu’à ce qu’il voie débarquer dans sa vie une famille « format Costco ». C’est cette histoire rocambolesque mais vraie qu’il raconte dans son premier roman, Mon père aux îles Moukmouk.

On pourrait croire Patrick Delisle-Crevier abonné aux petits miracles et aux histoires invraisemblables. Nous avions rendez-vous devant la maison où il a grandi, rue Marquette, dans le quartier Villeray, pour revisiter le quartier de son enfance. Son mari et lui venaient d’y stationner leur voiture avec à bord leurs cinq chiens. Ayant malencontreusement verrouillé les portières, les clés à l’intérieur de la voiture, ils étaient sur le point d’appeler un service de dépannage lorsqu’un des chiens a appuyé sur un bouton. Les portières se sont déverrouillées.

Des histoires surréalistes, il y en a plein le roman de Patrick Delisle-Crevier. Un roman autobiographique, non romancé, puisque les faits qui y sont racontés sont réels. Seuls quelques prénoms ont été changés. « Je n’ai pas eu besoin d’ajouter quoi que ce soit, dit-il. C’était déjà irréel. »

Ouverture

Journaliste pour le magazine 7 Jours et auteur de plusieurs biographies de personnalités destinées aux jeunes, Patrick Delisle-Crevier a raconté son histoire et celle de sa famille pour la première fois dans le magazine Urbania en 2010, puis dans le cadre d’une série télévisée diffusée en France. Il avait une réticence à se dévoiler davantage, sa famille et lui, sur le territoire québécois jusqu’à ce qu’on le contacte pour la série documentaire Double vie – Quand la vérité nous rattrape qui a été diffusée l’automne dernier sur la plateforme Vrai.

J’avais une certaine pudeur à raconter cette histoire-là. Je pense que j’avais une paix à faire avec mon père aussi. Pas un pardon, parce que je ne lui en ai jamais voulu, mais j’avais vraiment besoin de laisser tomber la poussière sur notre histoire.

Patrick Delisle-Crevier

C’est pour reprendre le contrôle de son récit, en quelque sorte, et pour le raconter sans contraintes qu’il s’est lancé dans l’écriture de ce premier roman dans lequel il revisite les jalons de sa vie, de son enfance avec sa mère malade, morte à l’âge de 40 ans, puis avec ses grands-parents et entre les griffes des services sociaux, jusqu’aux funérailles de son père et les retrouvailles avec ses nombreux frères et sœurs des années plus tard. L’histoire est si digne d’un film qu’avant même la sortie du livre, Patrick avait déjà reçu une proposition à laquelle il réfléchit.

Un père qui n’est pas aux îles Moukmouk

Enfant, Patrick a vu son père quelques fois alors que celui-ci l’emmenait manger une pizza dans un restaurant de la rue Jarry. Puis, il a disparu. Sa grand-mère le disait aux îles Moukmouk et Patrick y a longtemps cru. À 12 ans, il a mené son enquête et l’a retrouvé. Pas aux îles Moukmouk, mais dans une station-service de la rue Bélanger, dans le quartier voisin. Il s’y est presque rendu, mais il a changé d’idée et a rebroussé chemin. « Je pense que ma quête de le trouver était plus importante que de le connaître. Je savais où il était, je savais que si un jour j’avais besoin de lui, il allait être là. »

Il ne le reverra que cinq ans plus tard, au début des années 1990, à ses funérailles. Lui, et toute sa famille, dont il savait l’existence, mais qu’il n’imaginait pas si nombreuse.

« J’avais le désagréable désavantage de ressembler à mon père, souligne-t-il. On me montrait du doigt. Ils ont fait le lien tout de suite et moi, je me sentais illégitime. » Une autre enfant de Roland, née d’une deuxième maîtresse, était aussi sur place. Elle avait eu la chance de côtoyer son père, qu’elle appelait « papa » en privé, mais « mon oncle Roland » en public, surtout en présence des autres enfants de Roland, parce que plusieurs se côtoyaient sans vraiment connaître les coulisses de ce vaudeville... ou de cette tragédie grecque.

Même s’il y a eu des blessures, pour Patrick, c’est une belle histoire. « J’ai eu une super enfance, malgré le deuil de ma mère, malgré la différence. L’absence d’une mère, je vais la porter toujours. » Et celle d’un père ?

Je n’ai pas eu du tout le manque de mon père. Je l’ai cherché un peu, mais quand le trait a été tiré avec mon père, il a été vraiment tiré. Et de ce que j’apprends de mon père, je ne me serais pas entendu avec lui. Avec la personnalité que j’ai, son côté un peu macho...

Patrick Delisle-Crevier

« De ne pas avoir de père, ça ne m’a jamais manqué, une mère, oui, même tous les jours, ça me manque encore », ajoute-t-il. Ce sera d’ailleurs le sujet de son prochain livre : la vie qu’il aurait eue avec elle si elle n’avait pas quitté le monde si jeune.

Mais, la beauté de son histoire, elle est surtout dans cette nouvelle famille qu’il a trouvée en 2008, après que sa demi-sœur Josée l’a contacté sur Facebook. Depuis les funérailles de leur père, ils n’avaient eu aucun contact. Puis soudainement est débarquée dans sa vie une ribambelle de frères et de sœurs avec qui il a tissé des liens, pour la plupart. « Mon frère Denis, c’est le père que j’ai jamais eu ; ma sœur Josée, c’est ma grande sœur. J’ai des personnes qui s’occupent de moi, j’ai un entourage. J’ai acheté un chalet parce que je voulais que tous mes Delisle soient là, puis on se fait des partys de Delisle. »

Et la famille pourrait encore s’agrandir. Patrick a récemment retrouvé Sébastien, un demi-frère, né d’une autre mère, avec qui il avait eu un bref contact à l’école secondaire. Vous êtes perdu ? En résumé, Roland Delisle a eu 10 enfants connus de 4 femmes différentes. « Selon mes sœurs plus vieilles, il y en a d’autres, déclare Patrick. Il y en a quatre qui m’ont écrit sur Facebook en me disant : “Je pense qu’on est frère et sœur.” Mais comment tu départages le vrai du faux ? »

Mon père aux îles Moukmouk

Mon père aux îles Moukmouk

Libre Expression

248 pages