Les miracles de Jésus ont plutôt été accomplis par… des femmes. Au premier rang, Marie-Madeleine, une femme d’affaires cultivée qui a aidé le « Nazaréen » à se réfugier en Nubie après sa crucifixion. Telle est la thèse du roman L’Évangile selon Marie-Madeleine, de l’écrivaine espagnole Cristina Fallarás. Entrevue.

Q : Comment avez-vous eu l’idée du livre ?

PHOTO VANESSA ESTEBAN PINO, FOURNIE PAR CRISTINA FALLARÀS

Cristina Fallaràs

R. J’ai commencé il y a quelques années à réfléchir à mon identité. J’ai fait le lien avec l’un des genres culturels fondateurs de l’hégémonie américaine et capitaliste, le western. On y voit des hommes qui tuent et boivent et des femmes qui sont prostituées. Il n’y a pas de grossesses, d’accouchements, de familles, de repas, de soins d’hygiène ou médicaux. Ça m’a fait réfléchir au texte fondateur de ma culture chrétienne, les Évangiles. Je viens d’une famille catholique intégriste.

Q : Qu’y avez-vous découvert ?

R. Les miracles de Jésus sont féminins. Il donne à manger. Il guérit. Au fil de mes recherches, j’ai vu qu’au premier siècle, les médecins étaient des femmes, parce que c’était le prolongement de leur travail d’accoucheuse. Ça vient de la Grèce antique.

Q : Il y a aussi la Vierge Marie.

R. On revient au péché originel d’Ève, qui a tenté Adam, qui lui a insufflé le désir sexuel. Je ne suis pas vierge, votre mère n’est pas vierge, votre grand-mère non plus, votre épouse non plus. Mettre une vierge qui n’a pas de relations sexuelles comme modèle transforme toutes les femmes en pécheresses. C’est pour ça que les pères de l’Église ont fait de Marie-Madeleine une prostituée, ce qu’on ne retrouve pas dans les Évangiles. Elle était si importante, présente lors de la résurrection, il fallait la rabaisser.

Q : La déclaration papale de 2016 voulant que Marie-Madeleine soit l’« apôtre des apôtres » vous a-t-elle influencée ?

R. J’avais déjà commencé à comprendre qui elle était. Elle a son propre évangile dans les manuscrits de la mer Morte [textes chrétiens découverts en Cisjordanie dans les années 1940]. Ça veut dire que sa famille était riche et libérale. À Magdala, où elle habitait, ça veut dire une famille de commerçants. La Galilée n’avait qu’une richesse, les conserves de poisson. Qui multiplie le poisson ? Les propriétaires d’une conserverie de poisson. Elle faisait probablement la charité, sa maison servait de maternité et d’hôpital. Donc, elle avait chez elle des docteures qui guérissaient. Voilà les miracles expliqués. Et quand Jésus a été crucifié, elle l’a soigné et caché.

Q : Marie-Madeleine est irritée quand Jésus dit : « Celui qui croit en moi vivra éternellement. » Pourquoi l’intéresse-t-il ? Est-ce simplement un attrait charnel ?

R. Elle n’a rien à faire avec son côté messianique. Jésus est pour elle le seul qui affronte le pouvoir du Temple et son intolérance envers les femmes. Jésus travaille le samedi [jour du sabbat] et mange publiquement avec les femmes. C’est ça qui est révolutionnaire : ne plus confiner les femmes à l’intérieur, leur donner un espace public. La relation intime entre Jésus et Marie-Madeleine ne m’intéresse pas, je la mentionne en passant. Ce qui m’intéresse, c’est la main que Jésus tend aux femmes, la plus grande rupture de l’histoire, plus importante que la Révolution française. En comparaison, parler de Jésus comme du Messie, comme du fils de Dieu, c’est comme si Che Guevara disait qu’il est le fils de Thor.

Q : Vous attaquez saint Paul, mais même sans lui, Jésus aurait eu ce côté messianique qui vous agace.

R. Paul, c’est le démon. Il a renvoyé les femmes à l’intérieur, leur a ordonné d’obéir à leur mari. Sans Paul, on aurait retenu de Jésus son appui aux pauvres, son désir de les aider à sortir de la pauvreté. L’Église de saint Paul a maintenu les pauvres à leur place en leur promettant la vie éternelle. Mère Teresa de Calcutta faisait ça. Elle aussi, c’est le démon. Jésus, c’est aussi l’eucharistie, le partage en communauté, le contraire du capitalisme.

Q : Marie-Madeleine envoie Jésus se réfugier auprès de la reine Amanitore en Abyssinie.

R. L’Éthiopie et le royaume de Koush, dans le sud de l’Égypte, étaient alors dirigés par des femmes. On y retrouve aujourd’hui les plus vieilles communautés chrétiennes. On a eu des gouvernements paritaires en Éthiopie.

Q : Marie-Madeleine est catégorique : elle ne veut pas avoir d’enfants.

R. Ne pas avoir d’enfants, c’est devenir invisible aux yeux des hommes, c’est échapper à leur violence. C’était la seule manière d’avoir de la liberté à l’époque, les docteures n’avaient pas non plus d’enfants. J’ai exploré ce thème avec le deuxième roman de ma trilogie, sur Jeanne la Folle, première reine d’Espagne et mère de Charles Quint. Elle n’était pas folle, elle était très intelligente, mais elle s’est réfugiée dans des monastères. C’est d’ailleurs le sujet de mon troisième livre : il faut que les femmes forment des communautés et refusent d’avoir des enfants. Pour échapper à la violence des hommes, on arrivera à la fin de l’espèce humaine.

Q : Concrètement, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

R. J’ai deux enfants, mais je veux créer des communautés. Pas vivre avec d’autres femmes, mais toujours les appuyer, rechercher leur compagnie.

L’Évangile de Marie-Madeleine

L’Évangile de Marie-Madeleine

Hervé Chopin

256 pages