On lui doit l’éloge du féminisme imparfait (Bad Feminism). Voilà qu’avec ce nouveau roman (Difficult Women), Roxane Gay donne cette fois une voix à toutes les femmes imparfaites. Imparfaites parce que différentes, écorchées, brisées. Souvent violentées. Exploitées. Carrément violées. Difficiles, quoi. Bonjour l’euphémisme.

Précision : Difficult Women, une série de 21 récits de femmes aux parcours « difficiles », donc (parce que soit « faciles », « frigides », « folles », « mères » ou carrément « mortes », précise un chapitre consacré au sujet), n’est pas vraiment un nouveau roman. Publié en anglais en 2017, il vient tout juste d’être traduit en français. Et les textes qui le composent ont en fait été écrits il y a plus de 10 ans.

Pourquoi tant de temps ? Les éditeurs se sont sans doute montrés frileux, confiait en 2017 l’autrice, essayiste et professeure qui fait désormais courir les foules, dans un entretien au Vogue. Les textes ici présents sont en effet « trop sombres et déprimants », reconnaissait-elle. « Mais c’est totalement voulu ! »

C’est dit. Et c’est un fait. Soyez avertis : on ne lit pas Difficult Women d’un trait. C’est trop : trop lourd, trop dur, trop vrai, aussi. Parce que Roxane Gay met en scène toutes sortes de femmes aux vies tortueuses (on pense à ces deux sœurs brisées, violées dans leur enfance), parfois surréalistes (comme cette femme mariée à un homme méchant, dont le frère jumeau la séduit dans son lit), voire carrément fantastiques (la femme de verre, mariée au lanceur de pierre, ou cette autre, littéralement poursuivie par un nuage de pluie). Beaucoup d’images, d’émotions et de ressentis troublants. Et ça remue, effectivement.

On reste habité longtemps par l’histoire de cette mère qui a perdu son enfant, et qui noie sa peine infinie dans une relation malsaine. Avec un étranger violent. Mais dans le consentement. « J’utilisais une douleur pour en couvrir une autre... » C’est glaçant.

Toutes ces femmes imaginées par Roxane Gay sont marginalisées, souvent exploitées, abîmées. Les agressions sont quasi omniprésentes. Comme une fatalité. Mais ce n’est pas gratuit. En fait, la violence sert plutôt de prétexte pour explorer leur résilience. Le tout, fort heureusement, à travers des espaces ici ou là de sororité, de solidarité, de franche amitié. Et d’amour aussi. Non, tout n’est pas fichu.

On dépose le roman en se disant que le titre est finalement très mal choisi. Ce n’est pas tant de femmes difficiles qu’il est question. Mais plutôt des hommes (maris, frères, pères). Tout aussi dérangés. Et franchement dérangeants.

Difficult Women

Difficult Women

Mémoire d’encrier

339 pages

7/10