Bonheur d’occasion, Ru, L’avalée des avalés, Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, Folle… les titres d’œuvres littéraires sont autant de poignées de mots agissant comme des poignées de porte. Concentrant l’âme d’un texte, ils évoquent, intriguent, happent et, bien sûr, invitent à la lecture. Comment sont-ils déterminés, entre vision artistique et visée commerciale ? Nous avons discuté avec trois éditeurs.

Un auteur a-t-il les pleins pouvoirs pour élire le titre de son cœur ? Pas nécessairement. Bien que certains manuscrits soient coiffés d’emblée de la formule adéquate, d’autres exigent une refonte. La règle d’or : « Nous n’imposons jamais rien ! », lancent en chœur les éditeurs interrogés à ce sujet. « Ce n’est pas tant que les titres soient mauvais, mais on a l’impression qu’un autre servirait mieux le livre et appellerait mieux un public cible », justifie Marie-Noëlle Gagnon, éditrice et cheffe d’équipe pour Québec Amérique, où ce pétrissage s’impose dans la moitié des cas environ.

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Marie-Noëlle Gagnon

Alain-Nicolas Renaud (VLB) et Pierre Filion (Leméac) soulignent des disparités selon les genres, théâtre et poésie s’avérant moins concernés par le retitrage. « En poésie, il fait partie de l’élan de la création de l’auteur, c’est souvent l’étincelle à l’origine du livre et tout à fait à propos », précise M. Renaud, qui chapeaute également L’Hexagone. En exemple, il brandit Fuck you, de Daniel Leblanc-Poirier, titre original osé, mais justifié par la dynamique poétique.

Mais plus le genre devient terre-à-terre, glissant vers les essais ou les autobiographies, plus l’affinage s’avère nécessaire.

Veut-on décrire le propos sous-jacent ou seulement donner envie au lecteur d’aller vers le livre ? C’est l’éternel débat.

Alain-Nicolas Renaud, directeur de l’édition chez VLB

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Alain-Nicolas Renaud

« Pour les essais, on cherchera un titre accrocheur et un sous-titre plus explicatif. Le propos de l’ouvrage ne doit jamais être trahi, mais il faut que cela soit intrigant, sans vendre la mèche », explique le directeur de l’édition.

Une danse en duo

S’amorce alors une valse collaborative entre l’équipe éditoriale et l’auteur. On débat, on retourne au texte pour y dénicher le titre aux œufs d’or, avec cette loi d’airain : toute idée doit être solidement justifiée. Des vœux d’auteur peuvent être exaucés « quand on est conscients que ce n’est pas un caprice, mais l’objet d’une réflexion, et que notre objectif reste le même : que le livre soit lu autant que possible », indique Mme Gagnon, prenant l’exemple de Sainte-Souleur, par François Racine, qui avait « des raisons très étoffées de proposer ce titre ». Un jeu de motivations auquel les éditeurs sont également soumis. « Nous devons expliquer le plus clairement possible nos propres préventions. Quand on est dans la création, c’est toujours un jeu d’ego, il y a de la psychologie des deux côtés », complète M. Renaud, précisant n’avoir jamais assisté à de heurts.

Les grands noms ne font pas exception. Pierre Filion, chez Leméac, raconte s’être déjà opposé à Michel Tremblay, qui souhaitait intituler un recueil Enfant insignifiant ! « Il voulait absolument baptiser son livre ainsi, mais les textes n’avaient pas cette teinte. Je lui ai dit : “Ça se peut pas, c’est trop péjoratif !” » Finalement, l’auteur a proposé Douze coups de théâtre. « Ça, c’était magnifique, et plus pertinent pour moi », se souvient M. Filion. Quant à la suggestion initiale, elle sera exhumée 25 ans plus tard pour être appliquée à une pièce de théâtre appropriée.

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Michel Tremblay et son éditeur Pierre Filion

Titres et tâtonnements

Alors, qu’est-ce qui caractérise LE bon titre ? Intituler, c’est un art se passant de cases à cocher. « Un titre efficace va parler au bon public. Le plus important, c’est de bien l’arrimer avec le texte », résume Marie-Noëlle Gagnon, relayée par Pierre Filion, qui veut esquiver les « décalages ». M. Renaud a un penchant pour les titres qui « marquent » et qui « sont très différents », sans égard au format ; un simple patronyme comme une phrase à rallonge « peuvent être magiques ».

Ce dernier pointe aussi des paramètres tels que la personnalité et le rayonnement de l’écrivain.

La détresse et l’enchantement, c​’est un titre magnifique pour Gabrielle Roy, mais pour un auteur dont c’est le premier livre, c’est un peu étrange…

Alain-Nicolas Renaud

Parfois, c’est un accouchement poussif. Récemment, une œuvre à la croisée du roman policier, historique et littéraire a posé un vrai casse-tête à l’équipe de Mme Gagnon, qui a tranché pour Une enquête à Murray Bay, un livre de Céline Beaudet. Même cas de figure chez VLB, où le plus récent ouvrage de Lili Boisvert a engendré un intense remue-méninges pour aboutir, in extremis, à Match.

Autre préoccupation : les doublons. Bien que non soumis aux droits d’auteur (copyright), les titres peuvent déjà exister sur la liste toujours plus longue des publications. Pierre Filion y prête une grande attention, recourant aux banques de données pour désamorcer les confusions. Le problème s’est par exemple posé chez Québec Amérique avec le plus récent roman d’Andrée A. Michaud, initialement baptisé Ravages, mais renommé Proies aussitôt que l’éditeur s’est aperçu qu’un livre de René Barjavel de 1943 arborait un titre similaire.

À la mode de chez nous

Observe-t-on des modes ? Pas chez Québec Amérique, mais le directeur de VLB note, avec prudence, une tendance vers les titres courts, après une vague de titres longs, « mais le vent peut tourner très vite ». Et tout dépend des genres. Pierre Filion remarque que des enjeux d’époque (il cite le féminisme, le nationalisme et, actuellement, les titres à connotation autochtone) ou des formules (« ceux qui… », le mot « continent ») peuvent teinter des périodes, mais considère toutefois que « la littérature échappe un peu [aux tendances] ».

Certaines œuvres mettent de l’avant la toponymie ou la spécificité linguistique québécoises : Les fous de Bassan, Faire les sucres, Maganées, Arvida… Ce caractère local est-il recherché par les lecteurs au point de l’avancer dès la couverture ? Là encore, c’est plus une question de cohésion.

« Le titre est un peu le microcosme d’un travail d’édition. Si un livre travaille dans le vernaculaire, le régional ou une langue particulière, on va s’arranger pour que le titre colle au ton du texte », dit Alain-Nicolas Renaud.

Cela dit, ce rôle de tête de gondole reste à relativiser : « Le titre doit bien défendre l’œuvre, pas juste sa commercialisation. Il arrive dans la parade avec notre couleur et notre esthétique et même s’il n’est pas un bon titre, ça ne détermine pas tout. Il va vivre sa vie », lance M. Filion. « C’est important, mais le titre ne fait pas le livre et à un certain point, c’est le livre qui fait le titre », renchérit M. Renaud.

Leurs titres favoris

Marie-Noëlle Gagnon : The Great Gatsby, L’écume des jours et La petite fille qui aimait trop les allumettes. « Ils réussissent à refléter à la fois le fond et la forme des romans, piquent la curiosité et “sonnent bien”. »

Alain-Nicolas Renaud : Molloy. « C’est simplement le nom du personnage, mais grâce à l’euphonie et ce à quoi ça renvoie, ça marche. »

Pierre Filion : Le livre brisé, Arbre de l’oubli, La foi du braconnier, De l’importance du jus de pomme dans le traitement des blessures de cœur. Au sujet du dernier : « C’est long, très long, trop long, accaparant, dérangeant, difficile à retenir… mais il correspond parfaitement au texte. Le titre est meilleur que le livre, d’ailleurs ! »

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