Le quatrième livre et deuxième recueil de poésie de Marie-Hélène Voyer, Mouron des champs, représente un travail magistral. L’autrice rend hommage à sa mère disparue et, du même coup, à toutes les femmes arborant désirs étouffés et bouches cousues depuis trop longtemps.

Le mouron des champs est une plante annuelle donnant des fleurs rouges ou bleues, dont les graines sont toxiques pour les oiseaux. Et d’oiseaux, il est beaucoup question dans ce recueil – « leurs cheveux sont des corbeaux fous », « ma mère avait une beauté d’oiseau inquiet » – où les voix s’unissent pour raconter la vie difficile de femmes, d’hier à aujourd’hui.

Employant tant le « je » que le « tu » ou le « elles », la poète finit par se joindre à la cause : « Je veux pouvoir toujours dire nous. Tout est là. » Elle participe ainsi à un kaléidoscope d’expériences de femmes que la vie et la société empoisonnent.

Les mères, leurs sœurs et leurs filles doivent subir les yeux fermés et servir sans rien dire, puis recommencer le jour suivant. Le temps leur appartient, toutefois, démontrant leur raison d’être, leur résistance, voire leur puissance. Elles ont le poids imposant de celles qui brûlent et qui ne craignent pas de se faire violence pour avancer.

Intéressée par l’histoire et la « mémoire entêtée » de celles d’avant, Marie-Hélène Voyer dessine un long portrait de battantes et de combattantes, des « petites reines de rien couronnées d’épinettes », des « mères braves et vives dans leurs odeurs d’épuisement » et de « gouailleuses pleines d’entrain ».

Le recueil se nourrit d’une langue riche du passé qui ajoute à la profondeur du propos. La poésie surgit du quotidien et des petits gestes, des trop nombreux renoncements et des labeurs qui n’en finissent plus. Le tableau, assez sombre par moments, prend des couleurs à mesure qu’il devient évident que ce sont les femmes qui, malgré les mortes laissées en chemin, continuent le monde.

Par la force du langage et un va-et-vient entre le personnel et l’universel féminin, la poésie de Marie-Hélène Voyer frappe juste et fort, dépassant l’anecdote ou le pathos. Ça geint, ça grouille et ça gigote dans ce livre avec « une écharde enfoncée dans le palais » pour percer tous les secrets, les « corps creusés d’ombre » et les « larmes nécessaires pour faire un gâteau des anges ».

À la fin, rassemblant tous ces fragments de vie, la capitaine de cette nef de sorcières traversant une mer mortifère joue le rôle de trait d’union entre les générations précédentes et celle de sa fille. La boucle est bouclée et le chant des oiseaux continuera de nous éveiller le matin.

Mouron des champs

Mouron des champs

La Peuplade

216 pages

8/10