Lauréat du prix Robert-Cliche en 2017 pour son roman Maître Glockenspiel, Philippe Meilleur a vu sa vie chamboulée lorsque son éditeur a refusé son deuxième manuscrit, Encélade, une science-fiction utopique. Un revers qui a été le point de départ d’une réflexion sur sa consommation et sur son rapport au cannabis et à la dépendance, qu’il raconte avec authenticité et une bonne dose d’humour dans 420 grammes.

Est-ce un récit d’introspection, un essai, un carnet ludique illustré sur la marijuana ? Un peu de tout ça à la fois, et c’est très bien ainsi.

Avec 420 grammes, publié aux Éditions Cardinal, Philippe Meilleur a fait le pari de raconter sans filtre et de façon authentique sa relation d’amour-haine avec la fleur de cannabis. « Bonjour, je m’appelle Philippe et je fume du pot tous les jours depuis 15 ans », annonce-t-il tout de go dans l’introduction de son livre.

Retour en arrière. En 2017, Philippe Meilleur, alors journaliste et pupitreur à La Presse, remporte le prix Robert-Cliche, attribué à un premier roman, avec Maître Glockenspiel, un récit satirique trempé dans l’humour absurde mettant en scène un dictateur aux lubies loufoques, qui a séduit à l’unanimité le jury.

Pendant les années qui suivent, le jeune homme se consacre à l’écriture de son second roman, Encélade. Parallèlement, il décide de quitter son emploi à La Presse et de s’inscrire à l’École nationale de l’humour (ENH), une façon pour lui d’affirmer son identité en tant qu’artiste et écrivain, et d’explorer l’écriture humoristique, lui qui a toujours eu un penchant pour l’humour absurde et la satire, notamment avec son projet de média satirique Le Navet.

Avec Encélade, il veut pousser encore plus loin le bouchon avec un projet très ambitieux de science-fiction utopiste, qu’il termine en pleine pandémie, alors que sa consommation de marijuana connaît des sommets inégalés.

Mais voilà. Après avoir envoyé son manuscrit, l’auteur se fait ignorer pendant six mois par son éditeur, qui finit par refuser de le publier, raconte-t-il dans 420 grammes.

Si la nouvelle lui fait l’effet d’un coup de poing, il assure aujourd’hui ne pas en vouloir à son éditeur de l’époque : « Je comprends les raisons. Sur le coup, ç’a été quand même brutal. J’avais travaillé là-dessus trois ans, c’était 400 pages, une grosse affaire. Mais ça m’a fait réfléchir à ce dont je voulais parler, à ce que je voulais faire comme artiste. La conclusion à laquelle je suis venu, c’est que j’étais vraiment trop dans ma tête avec cette œuvre-là. C’était lourd et pénible à écrire, mais quand je fumais, je me trouvais génial ! »

Histoires de pot

Quelques mois plus tard, un matin de janvier 2021, ça ne va pas du tout. « Je me suis dit : “Ça suffit, j’arrête de fumer.”  C’est là que le déclic s’est fait. Mon nouveau projet doit documenter, dans la réalité, ma démarche et ma relation au weed. »

Je voulais être dans une démarche honnête et sincère. Avec mon roman, j’étais tellement en dehors de moi. J’ai décidé de faire complètement l’inverse.

Philippe Meilleur

C’est ainsi que 420 grammes a pris forme – la quantité qu’il estimait fumer chaque année, et aussi un clin d’œil à l’expression 4/20, associée à la contre-culture du pot. L’auteur y raconte sa longue relation de dépendance avec la marijuana. Au fil de courts chapitres, il revient en arrière, raconte comment le cannabis est entré dans sa vie pour ne plus jamais en ressortir. Et comment ce qui a d’abord été une relation somme toute positive et agréable est devenu de plus en plus problématique au fil des années.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Philippe Meilleur

« Je ne veux pas hiérarchiser les dépendances, dire que la mienne est pire ou moins pire qu’une autre. Mais je crois qu’il y a plusieurs personnes qui sont dans ma situation ; j’ai toujours été fonctionnel, j’ai une famille, un condo… Oui, ça avait un impact sur mon moral, mais ç’aurait été un peu malhonnête de me présenter comme une victime. Je voulais quand même que ça reste drôle et le fun. »

Oubliez donc le ton moralisateur ou la finale dramatique ; tout en s’épanchant avec sincérité sur sa consommation et les effets retors de la dépendance sur sa vie et celle de ses proches, 420 grammes est aussi un livre qui aborde, avec une bonne dose d’humour et d’autodérision – et beaucoup de notes de bas de page ! – la culture des « poteux ».

Du premier joint roulé avec une feuille de papier et de la colle blanche qui lui fait se prendre pour Krusty le clown (la colle plutôt que l’herbe est sans doute responsable ici) aux buzz qui plongent dans la joie et l’allégresse en passant par le brouillard mental, l’isolement social, l’abstinence et les rechutes, Philippe Meilleur offre un regard doux-amer sur cette drogue, accompagné de clins d’œil humoristiques comme les « cinq pires façons de rouler un joint » ou encore le « Schéma d’une table de salon d’un poteux », avec l’apport des illustrations de son amie la bédéiste Cab.

Et dans sa virée au pays de l’abstinence, l’ancien journaliste a aussi réalisé que cette dernière n’était pas une panacée et ne réglait pas miraculeusement tous ses problèmes. « Le weed n’était pas à l’origine de tous mes problèmes, les enjeux ne sont pas disparus. Je consulte un psychologue depuis longtemps, et je continue à le voir ! Mais pour l’instant, j’ai trouvé une certaine forme d’équilibre. Cela dit, je n’ai pas de réponse universelle. »

Aujourd’hui diplômé de l’ENH, Philippe Meilleur collabore à la populaire émission À la semaine prochaine et a déjà plusieurs projets en tête. Et Encélade, dans tout ça ? « Je suis persuadé qu’un jour, je vais le sortir, mais pas sous la forme actuelle. Il va falloir que je le réécrive… Mais pas tout de suite, je suis encore trop traumatisé ! », conclut-il en éclatant de rire.

En librairie le 19 avril

420 grammes

420 grammes

Éditions Cardinal

128 pages