Un homme, largué par sa conjointe, décide de fuir dans un autre pays. Pour se livrer tout entier à son plaisir ? Pas du tout. « Cette fois-ci, pensait-il, envie de rien. Cette fois, envie de disparaître, moi. Non pas refaire ma vie. Plutôt en sortir. »

Avec ce premier recueil de nouvelles, Louis Carmain ausculte les minuscules aspirations d’hommes et de femmes pris dans l’antichambre de leur propre existence, retenus ailleurs que dans le présent par leurs songes, leurs regrets ou par ces histoires dont ils se bercent, convaincus qu’ils sont de mériter mieux. De mériter mieux en amour.

Dans une série de cadres intimes – essentiellement celui du couple, claudiquant ou naissant – qui tranchent avec les larges décors qu’embrassent ses romans, l’auteur de Guano et des Offrandes explore la vaste question de l’identité, cette chose glissante et élusive, dont il ne subsiste que peu de choses quand ce qui nous unit aux autres s’envole. Que reste-t-il une fois que les fictions dont nous nous aveuglions se sont écroulées sur elles-mêmes, comme autant de châteaux de cartes ? Que la somme de nos grandes souffrances et de nos petites hontes ?

Il reste cet humour propre à Louis Carmain, un humour si finement dissimulé sous la phrase qu’il serait aisé de le confondre avec ce que la résignation a de plus lucide. Et si certaines de ces six nouvelles distillent une absurde étrangeté (l’auteur entremêle traumatismes d’enfance et pommes de terre dans l’exercice tragi-comico-freudien qu’est « Leçons de sommeil »), l’étrangeté est ici surtout celle, douloureusement banale, de ces vies qui semblent se déployer en marge d’elles-mêmes.

« Nydia comprit que Serge fuyait son propre désir, sa concrétisation, que la vie semblait l’avoir fabriqué pour la rêverie, pour une existence si discrète et passive qu’il pourrait, à son terme, traverser la paroi séparant la vie de la mort sans la faire frémir. » C’est à cheval sur cette frontière que Louis Carmain élabore le portrait, à la fois empathique et caustique, de ces personnages refusant de céder tout à fait à leur propre usure.

Nuits portatives

Nuits portatives

VLB éditeur

168 pages

7/10