C’est une histoire d’amitié. De choix existentiels, aussi, puisque La Fille parfaite, de Nathalie Azoulai, raconte les parcours opposés de deux jeunes femmes qui ont choisi des voies différentes vers ce qu’on appelle la réussite. Nous avons discuté avec l’écrivaine française de ce roman qui aborde de front les tabous de notre époque.

Dès la première page de La Fille parfaite, on apprend le suicide d’Adèle ; elle a 46 ans. C’est la narratrice, Rachel, qui reçoit l’appel fatidique. Elle, l’amie d’une vie, qui, sur une période de 30 ans, a entretenu une amitié cyclique avec cette brillante mathématicienne qu’elle a connue à l’adolescence.

Rachel entreprend alors de remonter le fil de cette union particulière, meublée de moments intenses entrecoupés d’éloignements – « une véritable aventure cérébrale et intellectuelle », souligne Nathalie Azoulai, qui, de la France, nous confie au bout du fil qu’elle avait envie de replonger dans ce thème cher de l’amitié de jeunesse entre deux filles.

Mais au-delà de cette amitié qui se nourrit à la fois de connivence, de rivalité et de tiraillements, l’écrivaine (qui a remporté en 2015 le prix Médicis pour Titus n’aimait pas Bérénice) examine la place des femmes dans la société.

Le dur choix de l’orientation

Cette « fille parfaite » qu’évoque le titre, c’est bien entendu Adèle : « Une fille qui a été élevée dans le culte de la performance et de la réussite, et qui a très bien répondu à tout ça avec excellence », précise Nathalie Azoulai. Et surtout, c’est une femme qui a réussi dans un domaine jusqu’alors réservé aux hommes, alors que sa meilleure amie a choisi la voie « des littéraires ». Le prétexte idéal pour aborder cette absence féminine des domaines scientifiques pour une mère qui a dû guider ses deux filles dans leur choix d’études, il y a quelques années, et qui s’est posé mille questions à travers cette « épreuve difficile ».

Les choix d’orientation sont des choix décisifs, qui sont très engageants pour une existence. Et quand on est une fille et qu’on aspire à l’indépendance économique, à la liberté et à une certaine forme de prise sur le monde, on ne peut plus être de gentilles jeunes filles adossées à des hommes qui, eux, maîtriseraient le monde.

Nathalie Azoulai

La voie des sciences, à son avis, garantirait cette fameuse place dans le monde que les femmes doivent s’approprier. En particulier en France, souligne-t-elle, où il y aurait « un vrai problème entre les filles et la science à l’école ».

D’ailleurs, l’écrivaine intervient à ce moment dans la conversation pour nous poser elle-même une question : son livre ne relate-t-il pas un point de vue trop français ?

Trop français ?

Car ce qu’elle dénonce également dans La Fille parfaite, c’est cet « esprit de salon » qui fait de la France « un pays d’intellectuels littéraires, qui mettent historiquement la conversation au-dessus de tout » depuis le XVIIsiècle, à son avis. « On est encore victimes de ça ; c’est-à-dire qu’aujourd’hui, on attend des gens brillants qu’ils connaissent la littérature française, mais on se fiche un peu de savoir s’ils connaissent la culture scientifique. »

C’est sans doute différent chez vous parce que vous ne venez pas de cette tradition d’arrogance, avec un esprit de classe qui est très fort. Il suffit de lire toute notre littérature pour s’en rendre compte. Et je crois qu’aujourd’hui, quand on oriente les jeunes filles, on veut encore qu’elles soient des femmes qui brillent dans un salon malgré tout, même si ça ne se dit pas comme ça, peut-être – je caricature un peu.

Nathalie Azoulai

Notre époque, ajoute-t-elle, nous a par ailleurs montré à quel point notre avenir était indissociable des domaines scientifiques. « On est passés par la crise de la COVID-19 et on a vu à quel point on était très ignorants de ce que c’était, la science, quand on n’était pas un scientifique, et comment on peut être abusé par les mauvais scientifiques, par les faux scientifiques. »

Le paradoxe, c’est que son personnage d’Adèle sera parvenu à atteindre une position enviable dans la société ; mais cela n’aura pas été suffisant.

En somme, la véritable question que pose l’écrivaine en filigrane dans son roman n’est que bien trop universelle : est-il possible d’être à la fois femme, mère, épouse et d’exceller, sans s’y perdre, dans un domaine où les hommes ont longtemps été seuls à s’attribuer tous les mérites ?

La Fille parfaite

La Fille parfaite

P.O.L

320 pages