Rien n’arrive à la cheville du succès de Paul, le phénomène de la bande dessinée québécoise. Michel Giguère, généreux connaisseur du 9e art, a proposé à Michel Rabagliati de revenir sur son œuvre et d’en démonter les mécaniques. Il en résulte un ouvrage à la fois savant et accessible, plein d’humour et d’images inédites.

Les deux Michel – Rabagliati, l’auteur, et Giguère, l’analyste – se connaissent visiblement bien. Ils rigolent, se relancent, rajoutent aux réponses de l’autre et se lancent des fleurs avec cette familiarité qu’on remarque chez les gens entre lesquels le courant passe. Il leur est arrivé à quelques reprises de jaser de Paul et de BD ensemble devant public. « On a fait un malheur chaque fois », dit Michel Giguère, ravi.

Paul : entretiens et commentaires est, ni plus ni moins, la transposition en livre du genre d’entretien et d’analyse que ce spécialiste de la bande dessinée a l’habitude de faire dans ses Rendez-vous de la BD.

L’idée est de m’adresser au grand public, de le prendre par la main pour l’entraîner plus profondément dans sa réflexion [au sujet de la BD].

Michel Giguère

L’idée de faire sous forme de livre ce qu’il fait devant public s’est imposée… au début de la pandémie. « Pour faire ça dans un livre grand public, ça prenait un sujet attrayant, dit-il. Michel [Rabagliati] est une valeur sûre, que les gens croient connaître ne serait-ce qu’en lisant Paul. »

Un livre pour tous

L’échange entre les deux Michel donne un ouvrage d’une envergure imposante. « Ce n’est plus un coffee table book, c’est la table au complet ! » s’amuse le bédéiste. Sur plus de 300 pages, son analyste et lui reviennent sur l’histoire de Paul, la situation de la BD au Québec, le développement des personnages, les mécaniques narratives à l’œuvre dans ses livres ou encore la nécessaire délicatesse qui s’impose lorsqu’on raconte sa vie… et un peu celle des autres.

« Je n’en connais pas, d’analyse de bande dessinée telle que Michel le propose, c’est-à-dire de s’arrêter à des planches et de prendre son temps pour regarder l’effet produit par l’agencement des cases », observe Michel Rabagliati, qui se dit « flatté » que son travail ait fait l’objet d’une telle attention.

Extraits de Paul : entretiens et commentaires
  • Une foule de « curiosités » sont proposées à la fin de l’album.

    IMAGE FOURNIE PAR LA PASTÈQUE

    Une foule de « curiosités » sont proposées à la fin de l’album.

  • Les analyses s’appuient sur une profusion d’images, afin que le propos soit clair et dynamique.

    IMAGE FOURNIE PAR LA PASTÈQUE

    Les analyses s’appuient sur une profusion d’images, afin que le propos soit clair et dynamique.

  • Les entretiens réalisés par Michel Giguère sont fouillés et passent du personnel au professionnel.

    IMAGE FOURNIE PAR LA PASTÈQUE

    Les entretiens réalisés par Michel Giguère sont fouillés et passent du personnel au professionnel.

  • Le lettrage, les références culturelles, le découpage, le cadrage, les niveaux de langue : Michel Giguère démonte avec finesse toutes les mécaniques à l’œuvre dans les livres de Michel Rabagliati.

    IMAGE FOURNIE PAR LA PASTÈQUE

    Le lettrage, les références culturelles, le découpage, le cadrage, les niveaux de langue : Michel Giguère démonte avec finesse toutes les mécaniques à l’œuvre dans les livres de Michel Rabagliati.

  • L’album se termine sur une foule de dessins et de planches inédits, peu connus ou publiés ailleurs que dans les aventures de Paul. Le clin d’œil à Tintin saute aux yeux, ici.

    IMAGE FOURNIE PAR LA PASTÈQUE

    L’album se termine sur une foule de dessins et de planches inédits, peu connus ou publiés ailleurs que dans les aventures de Paul. Le clin d’œil à Tintin saute aux yeux, ici.

1/5
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Michel Giguère ne verse ni dans les théories complexes ni le langage universitaire. Paul : entretiens et commentaires est un livre savant décontracté. « Moi, j’arrive avec le côté technique, mais ce serait un peu sec si ce n’était que ça, et Michel [Rabagliati] arrive avec tellement d’humour et d’humanité que ça fait un bel équilibre. »

Un destin inattendu

L’aspect technique a beau être important dans ce livre, l’approche demeure sensible. « J’espère que ça paraît que je m’intéresse aussi à la mécanique de l’émotion », précise Michel Giguère. C’est le cas et pas seulement dans ces analyses, mais aussi dans le long entretien qu’il mène avec le bédéiste et au cours duquel il passe avec fluidité de la sphère professionnelle à la sphère personnelle.

Il est notamment très intéressant de voir les deux Michel revenir sur les débuts de Paul. Michel Rabagliati avait alors fait une petite BD qu’il destinait à ses proches. C’est par hasard qu’il a croisé les deux fondateurs de La Pastèque.

Ce qui s’est passé est inattendu. Et il y a aussi que j’ai été persévérant. On ne parlerait pas de moi aujourd’hui si je n’avais pas tapé pendant 23 ans sur le même clou…

Michel Rabagliati

Il faut dire que Paul est arrivé au bon moment dans le paysage de la bande dessinée québécoise. Drawn & Quarterly (qui avait notamment publié Julie Doucet, Chester Brown et Seth) avait ouvert la porte vers un nouveau type de BD pour adultes. En Europe, L’Association avait une approche semblable. Michel Rabagliati, qui n’avait aucun intérêt pour la BD jeunesse, a trouvé sa place dans cette nouvelle vague.

Son art, qui emprunte beaucoup à la BD franco-belge classique (« J’utilise les mêmes trucs qu’Uderzo et Hergé », dit Michel Rabagliati), est devenu une façon de s’observer lui-même. « J’aime ça quand un auteur ne se ménage pas, dit le bédéiste, citant notamment Emmanuel Carrère et Michel Houellebecq. Je n’ai pas de pudeur par rapport à ça, je suis capable de montrer mes mauvais côtés. Je m’offre une thérapie avec ça : au lieu de payer 100 $ par séance, je fais mes planches avec Paul dedans et ça me fait du bien. »

Ce gros volume ne marque pas la fin de Paul. « J’ai encore des choses à dire », assure son auteur. Il travaille actuellement à un roman qui comptera des illustrations au plomb. « Ce sont des dessins assez grands, encapsulés dans une mise en page assez classique de roman avec des dialogues à tirets, explique Michel Rabagliati. Je ne me compare pas à un écrivain, mais je suis capable de faire des textes pas trop pires et je profite de mon talent de dessinateur parce que, souvent, les écrivains ne sont pas capables de dessiner ! »

Paul : entretiens et commentaires

Paul : entretiens et commentaires

La Pastèque

302 pages