Dans L’ouragan et moi, la mère de Philémon a fait quelque chose de « plus difficile que de devenir un athlète olympique ou même un astronaute », dit son amie Laurence. Elle a changé son corps pour devenir une femme.

Dans la section jeunesse des libraires, rares sont les livres qui parlent de transidentité. Encore plus rares sont ceux destinés aux enfants d’âge primaire. En écrivant l’histoire de Philémon, c’est à ces jeunes que Marie-Pierre Gazaille avait envie de s’adresser.

« Je trouve que, souvent, on ne leur fait pas assez confiance. Le malaise de certains adultes […] est transposé dans le fait qu’on ne veut pas leur présenter des sujets qui sont, des fois, difficiles à expliquer. »

C’est pourtant de manière très simple que l’autrice aborde la question dès la première page du roman. « En 2015, j’avais 4 ans et j’ai perdu mon père. Pas perdu perdu comme dans “il est parti et n’est jamais revenu ». Non. Mais il est disparu d’une autre manière. […] Heureusement, en échange de mon père, j’ai eu Ingrid », raconte Philémon, du haut de ses 10 ans.

Marie-Pierre Gazaille voulait présenter la transidentité comme « une normalité parmi d’autres », notamment grâce aux illustrations remplies de douceur de Marie-Eve Turgeon.

Pour écrire son premier roman, celle qui travaille dans le domaine des communications s’est inspirée de sa grande amie Katrina Naranjo, qui a fait sa transition en 2012 alors que ses enfants étaient en 3e et en 6année.

« Je trouvais qu’il y avait une super belle histoire à raconter et je savais qu’elle aurait l’ouverture et le désir de la partager avec moi […]. Je voulais être certaine d’être dans le bon ton et d’avoir le bon angle », raconte Marie-Pierre Gazaille, par vidéoconférence.

« Un nom de tempête »

Comment Katrina Naranjo a-t-elle réagi lorsque son amie lui a parlé du projet ? « J’étais très touchée de savoir que c’était le sujet qu’elle avait choisi pour lancer un livre jeunesse », répond celle qui a aussi participé à l’entrevue.

Le roman n’est pas biographique, mais certains parallèles peuvent être faits entre la fiction et la réalité.

Contrairement au héros, les enfants de Katrina Naranjo n’ont pas été intimidés par un élève de leur classe en raison de la transition de leur parent. Toutefois, ils ont vécu les mêmes craintes que Philémon.

« Est-ce que mes amis vont me parler ? Est-ce que je vais être mis de côté ? […] Tout ce que ressent le jeune dans le livre, les miens le vivaient à l’intérieur d’eux et appréhendaient ce qui allait se passer à l’école », affirme-t-elle.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Katrina Naranjo

Comme Katrina Naranjo, Ingrid s’est inspirée d’un ouragan pour son prénom. « J’imagine que mon père savait que son annonce et l’arrivée d’Ingrid chambouleraient tout […]. Alors, il s’est choisi un nom de tempête », explique Philémon dans le roman.

Et comme Ingrid, Katrina Naranjo n’est pas gênée de parler de sa transition et de répondre aux questions à ce sujet. Elle donne d’ailleurs des conférences dans les écoles secondaires. « Les jeunes sont très curieux. Ils veulent tout savoir », confie-t-elle, en précisant qu’elle constate une grande ouverture d’esprit chez les élèves.

Aux yeux de Marie-Pierre Gazaille, les enfants du primaire aussi sont prêts à entendre parler de transidentité. « Je fais un parallèle un peu facile, mais si on pense au moment où on a commencé à parler de l’environnement, c’est beaucoup les jeunes qui se sont mobilisés et les parents ont suivi la vague. […] J’espère que, de la même façon, l’ouverture à cette différence-là et aux autres différences peut passer par la conscientisation des jeunes si on leur en donne la chance. »

L’ouragan et moi

L’ouragan et moi

Éditions Québec Amérique

Dès 7 ans

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

L’auteur Samuel Champagne

Histoires pour adolescents

En 2014, Samuel Champagne a écrit Garçon manqué, premier roman de fiction pour adolescents à aborder la transidentité au Québec. Sa suite, Éloi, a récemment été rééditée. Pourquoi a-t-il choisi d’écrire des romans sur ce sujet ? « C’est surtout parce qu’il y avait un vide. […] Dans mon parcours personnel, ça a pris tellement de temps avant que je décide de faire une transition parce que je ne voyais pas et je n’entendais pas parler de personne trans », répond l’auteur qui a commencé sa transition à 28 ans, après avoir donné naissance à deux enfants. Samuel Champagne aurait aimé lire des romans sur le sujet lorsqu’il était adolescent. « Ça m’aurait aidé à comprendre plein de choses sur moi-même et ça aurait probablement aidé les gens autour de moi à me comprendre un peu mieux et à m’accompagner différemment. « Je pense qu’à l’adolescence la littérature peut avoir un impact sur la construction identitaire des individus, surtout lorsqu’elle aborde des thématiques plus complexes comme la transidentité, poursuit-il. Ça permet d’écarter un peu les œillères […]. Ça permet aussi surtout à ceux qui le vivent de ne pas se sentir seuls. »