Comment vont les enfants de Geneviève Drolet ? « Ils vont super bien. Ils sont aussi gossants que merveilleux », répond-elle, résumant en quelques mots les émotions contraires que contiennent Les acrobaties domestiques, carnets aussi émerveillés qu’épuisés d’une femme qui aimerait pouvoir compter sur le filet de réception d’une société qui abandonnerait moins les mères à leur sort.

« La maternité me submerge pour ne laisser place à rien d’autre », écrit Geneviève Drolet (Sexe chronique, Panik) à la première page de ce sixième livre, dans lequel elle prend la mesure du fossé entre la maternité qu’elle s’imaginait et celle qu’elle vit, ainsi que du « gouffre entre mon attente en matière d’équité, mes désirs d’accomplissements et la réalité dans laquelle je baigne ».

Grosse question : « Est-ce que je suis féministe quand j’aime mieux materner mes enfants que de débattre d’équité avec mon amoureux, alors que mes convictions pourtant fortes se rendent rarement à ses oreilles ? »

C’est d’abord pour pallier l’impossibilité de dialoguer, dans lequel l’exténuant quotidien de la parentalité l’enfermait, qu’elle a amorcé l’élaboration de ces carnets, le premier texte dans lequel celle qui est également acrobate de haut niveau ne s’en remet pas à la fiction.

« J’étais dans ce brouillard intense de la maternité et je n’arrivais pas à discuter de ces choses-là avec mon chum. Même si mon chum est compréhensif, on était dans une dynamique difficile à renverser », explique-t-elle en entrevue au sujet de cette lettre à monsieur, qui deviendra peu à peu une lettre à tous les pères, ainsi qu’une lettre à elle-même.

Pour l’amour des hommes

Malgré ses fortes convictions, et malgré son désir de ne pas laisser la maternité la définir, Geneviève Drolet constate vite au moment où elle accouche de Pigeon, son fils qui aura bientôt 6 ans, que la maternité s’insinue qu’elle le veuille ou non dans les moindres interstices de sa vie. Cette dernière est transformée par l’allaitement et la symbiose physique qui l’unit à son poupon exigeant, « un cataclysme à lui seul ».

Et le papa, lui ? Si Les acrobaties domestiques interpelle autant, c’est sans doute parce que l’homme qu’il dépeint est loin d’être le pire père au monde. Il est en fait un excellent père, selon les critères pas si élevés à l’aune desquels la paternité est généralement évaluée, même s’il semble nourrir peu de culpabilité à propos du fait de quitter sa famille le temps d’aller créer un spectacle ou de travailler dans la cour. Une insouciance qui n’est pas sans faire bouillir sa blonde.

Geneviève Drolet a été surprise, en devenant parent, de voir son couple, qu’elle croyait libéré des rôles genrés traditionnels, se reconfigurer d’une façon y correspondant parfois douloureusement.

« On pense tout le temps qu’on est imperméables à ces dynamiques-là, et je me suis rapidement rendu compte que pas du tout. Mais ça prend du travail pour changer ces dynamiques, et quand tu deviens parent, tout le monde est fatigué, tu allaites, tu ne reconnais plus la personne dont tu étais amoureuse. C’est un moment difficile pour avoir des conversations importantes », observe celle qui est aussi mère de jumeaux de trois ans et demi. Elle rit.

Il y a des choses que j’aurais dû aborder avec mon chum avant même la conception, mais on s’est juste dit : ça va bien aller.

Geneviève Drolet

Mère heureuse

Au-delà de ce plaidoyer pour une répartition plus équitable de la charge mentale, Les acrobaties domestiques se double notamment d’une condamnation de la surmédicalisation de l’accouchement, d’une réflexion sur l’impact de la maternité dans la trajectoire d’une créatrice ainsi que d’une célébration des joies auxquelles les enfants donnent vie.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Geneviève Drolet

Ce livre se distingue d’ailleurs de tant de textes sur la maternité en ce que c’est au nom de cette puissante joie que Geneviève Drolet prend fait et cause pour un monde où la conciliation travail-famille serait davantage qu’un slogan, et où nos mesures sociales (comme un congé de paternité de seulement cinq semaines) charrieraient une conception moins chagrine de ce qu’est un père. Les acrobaties domestiques appartient à la littérature parce que son autrice refuse de faire semblant d’y résoudre ses contradictions : la mère qui s’y confie souhaiterait, certes, avoir plus de temps à consacrer à ses projets, mais traverse néanmoins péniblement les heures qui la séparent de sa marmaille.

Je n’avais vraiment pas la culpabilité facile avant d’être mère, mais au-delà de la culpabilité, il y a aussi mon envie d’être avec mes enfants. Je me suis fait surprendre par ça ! Je pensais être capable de les déposer à la garderie et de dire : “OK, ciao, bye, on se revoit dans huit heures”, mais non, je veux être là pour eux, avec eux.

Geneviève Drolet

Tout en avouant que le fait de vivre « au seuil de l’envahissement », comme c’est le cas durant les premières années d’un enfant, peut provoquer angoisse et impatience, Geneviève Drolet se demande si les attentes immenses envers les mères – « Le multitâche est un mythe. Je n’ai pas le choix de bâcler un peu. » – n’exacerbent pas un perpétuel sentiment d’incompétence.

« Je suis tiraillée par mon désir d’accomplissement. C’est clair que je suis fière de moi quand je réussis à faire tout en même temps. Mais la petite enfance, ça passe en un claquement de doigts et je pense que c’est un appel au ralentissement. Et en même temps, c’est vrai, il y a plein de moments où on s’emmerde avec un bébé, où on voudrait faire des trucs plus stimulants avec son cerveau. Mais j’hésite de moins en moins à me poser la question : est-ce que j’ai vraiment besoin d’être à la course et de ne pas profiter de mes soirées avec mes enfants juste pour faire un autre spectacle ? »

Les acrobaties domestiques

Les acrobaties domestiques

XYZ

216 pages