Le plus mondain des écrivains français a quitté Paris pour « vivre autrement ». Il habite désormais au soleil, dans le Pays basque, à 10 minutes de la frontière espagnole. C’est sur ce fond bleu de mer qu’on le rencontre pour parler de son nouveau livre, Un barrage contre l’Atlantique, où réflexions existentielles, souvenirs de jeunesse et ruminations apocalyptiques se côtoient dans un style minimaliste parfaitement efficace. Apparemment, la vie dans le Sud lui réussit bien.

(Ghétary) Frédéric Beigbeder, vous êtes l’oiseau urbain par excellence. Votre vie de jet-setter est bien connue. Et vous voilà en région, loin du glamour de la grande ville. Paris vous manque ?

Au contraire. Paris est devenu une ville morte. Les attentats. Le stress. Les manifestations de gilets jaunes tous les samedis. Les gens en avaient marre. Beaucoup d’amis sont partis. Et il n’y a plus la nuit telle que je l’ai connue. Depuis qu’on a des téléphones connectés aux réseaux sociaux, on ne peut plus s’amuser. Tout le monde surveille tout le monde. On ne déconne plus. En fait, j’ai l’impression de pouvoir plus faire la fête ici, entre Biarritz et San Sebastián. Dans cette région, on se marre plus.

Parlant de votre nouveau bouquin, Un barrage contre l’Atlantique, un critique a écrit que vous étiez devenu un vrai écrivain maintenant que vous n’habitiez plus Paris. Que pensez-vous de ce commentaire ?

Ça me paraît un peu influencé par Flaubert, c’est-à-dire qu’en France, on a cette image selon laquelle un écrivain doit être un ermite dans une cabane dans les bois pour être crédible, alors que quelqu’un qui fait la fête et qui sort dans les bars est un mondain qui s’est disqualifié. Mais vous savez, on peut écrire sur la banquette d’un taxi à 3 h du matin ou écrire dans une tour d’ivoire. L’important, c’est de savoir si la phrase a du talent.

Parlant de phrases : celles du livre sont très courtes et très espacées, passant parfois sans logique apparente d’une idée à une autre. Pourquoi avoir opté pour cette forme ?

J’avais une impuissance à écrire, donc j’avais décidé d’écrire seulement une phrase par jour. J’ai fait ça un temps, puis c’est devenu deux phrases, puis un flot continu. Cette forme a permis de débloquer… J’ai toujours bien aimé les formules et là, je trouvais ça marrant de les exposer davantage dans un récit qui s’organise avec des phrases où chaque idée en entraîne une autre. Exactement comme ça se passe dans le cerveau humain. On a des pensées qui se bousculent en permanence dans notre tête. C’est amusant de créer cet effet de foutoir qui est organisé à notre insu.

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

L'écrivain Frédéric Beigbeder habite désormais au soleil, dans le pays basque, à 10 minutes de la frontière espagnole.

Vous présentez ce livre comme la suite de vos souvenirs de jeunesse. Vous n’aviez donc pas tout dit dans Un roman français, qui explorait un peu le même univers ?

Patrick Modiano a écrit 30 livres sur son enfance dans les années 1940. Jean d’Ormesson a fait une vingtaine de livres sur les mêmes anecdotes de sa vie. Ce n’est pas gênant. C’est une nouvelle façon de décrire une enfance ou une adolescence. Mettre des mots différents sur le même malaise, la même mélancolie. La littérature n’est pas forcément raconter une histoire. Pour moi, c’est réduire la distance entre ce qu’on a en soi comme émotion, comme sensibilité, comme humour, comme solitude et ce qu’il y a sur cette feuille de papier. Le sujet importe peu.

Un barrage contre l’Atlantique est une réflexion sur le temps, l’amour, la mort… Des thèmes profonds. Mais il y a toujours cette légèreté, cet humour, qui vous caractérisent. C’est important pour vous ?

Les livres que j’aime masquent leur profondeur. C’est un mélange de pudeur, d’élégance, de politesse, de bonne éducation. C’est de la courtoisie. Ça ne se fait pas de trop souffrir en public. F. Scott Fitzgerald, Françoise Sagan, Colette… ils ont tous cette façon de se faire passer pour futiles alors que ce qu’ils disent est éternel. Le temps qui passe. Les amours ratées. Les ruptures, la solitude, la mort. Il y a quelque chose de brutal et juste après, on retourne dans quelque chose de ludique. C’est l’alternance des deux qui rend la chose digeste. La gravité et la légèreté entremêlées, ça crée un charme éphémère. En plus, j’écris au « je ». L’autobiographie est un acte tellement nombriliste qu’il faut le compenser par de l’autodérision, sinon c’est insupportable à lire !

On compte aussi beaucoup de références à la culture pop de votre jeunesse. Des touches de nostalgie ?

C’est générationnel. Je suis né en 1965. Je suis un écrivain de la pop music, de la culture pop. J’ai écrit sur la publicité, les boîtes de nuit, les aéroports, la mode. Il y a toujours des références à tout ça. Proust disait : c’est à la cime du particulier qu’éclot le général. Mais si on veut être universel, il faut être très précis. Il faut que les titres de chansons, les marques de bonbons, de voitures et que les noms de stations-service soient des choix justes. Donc, j’accorde une attention extrême à tout ça. Je serais mortifié si j’avais cité le mauvais morceau de musique.

Vous consacrez justement trois pages à l’album 666, un disque sur l’Apocalypse enregistré en 1970 par le groupe de rock Aphrodite’s Child. Votre tremplin pour parler de la fin du monde….

L’année 2020 était une période très apocalyptique alors ça me semblait intéressant d’en parler maintenant… Citez-moi une autre époque où il soit arrivé une fermeture totale des compagnies aériennes, des bars, des restaurants, des cinémas, des librairies quasiment partout en même temps. Si tu ne te poses pas des questions par rapport à ça, en ajoutant le réchauffement climatique, la montée des océans, la pollution, le plastique, l’extermination de la biodiversité… Par contre, apocalypse ne veut pas dire fin du monde. Ça veut dire révélation, renouvellement, changement… On est dans une période comme ça.

Nos lecteurs ne le savent peut-être pas, mais vous êtes aussi critique au Figaro Magazine, ainsi qu’au Masque et la plume, émission de radio culte de France Inter. Alors jouons le jeu pour terminer : quelle critique feriez-vous de votre propre livre ?

[Silence] Je pense que je me moquerais un peu de la forme. Qu’est-ce que c’est que ce truc ? On ne sait pas très bien si c’est un recueil d’aphorismes ou des versets de la Bible. Pour qui se prend-il ? Au début, j’avais un peu de réticences, mais je suis rentré et c’est vrai qu’on se fait un peu avoir dans la deuxième partie. Après, c’est sans doute son livre le plus personnel, c’est son livre le plus intime et j’ai fini par être ému. Probablement que les lecteurs qui aiment ce que fait ce garçon seront déroutés au début. Il n’y a pas ce côté sarcastique qu’on aime tant. Si vous cherchez les numéros de claquette agressifs et arrogants, ce n’est pas celui-là, ne l’achetez pas… Quand on critique, il ne faut pas être 100 % positif. Sinon on ne te croit pas !

Un barrage contre l'Atlantique

Un barrage contre l'Atlantique

Grasset

272 pages