Son nom ne vous dit sans doute rien. Celui de son ex, assurément davantage. N’empêche que Geneviève Morin sort ces jours-ci un roman, sorte d’autofiction sur le douloureux thème du deuil amoureux, et surtout sa reconstruction. Un texte remuant, et pas que pour les curieux : il y est en effet question de relations toxiques, de codépendance, de féminisme et, surprise, de résilience. Ah oui, et de la saga Alien aussi.

Mettons tout de suite les choses au clair : oui, il s’agit bel et bien de l’ex-petite amie de Julien Lacroix, visé, on s’en souvient, par des allégations de violence et d’inconduites sexuelles par neuf femmes (dont Geneviève Morin), en 2020. Après 18 mois de retrait de la vie publique, l’humoriste québécois s’est d’ailleurs livré récemment au quotidien Le Devoir, affirmant avoir arrêté de consommer, suivi une thérapie, et vouloir du même coup recommencer à travailler.

« Ça ravive des choses à l’intérieur de moi, confie doucement Geneviève Morin en entrevue, mais tout ça, ce sont ses problèmes à lui. Et ce n’est pas ça, mon livre. Mon livre, ce sont ses problèmes à elle [l’héroïne, à la première personne dans le texte]. » C’est dit.

Alors si vous cherchez dans ce Traité de paix pour les femmes aliens, publié mardi chez Québec Amérique, des détails « croustillants » et inédits sur Julien Lacroix, passez votre tour. Vous n’apprendrez ici rien de neuf (son nom n’est même jamais écrit, et Geneviève Morin ne le prononcera qu’une seule fois de tout notre entretien).

Par contre, si vous aimeriez lire un récit de rupture troublant et archiactuel, et surtout une réflexion sur l’aliénation amoureuse et sa difficile, mais non moins possible émancipation, dans un texte éclaté qui relève tantôt du journal intime, tantôt de la poésie, ou carrément de la théorie (cinématographique, féministe, psychologique), vous êtes au bon endroit.

Aliénation amoureuse

Parce que Geneviève Morin, qui a une maîtrise en études littéraires (et un mémoire rédigé sous la direction de Martine Delvaux), planche sur ce texte depuis longtemps déjà. Elle écrit depuis des années, en fait, pour mieux comprendre. Analyser. Guérir ? « J’avais besoin d’extérioriser des trucs, je ne me sentais pas très bien dans ma vie, dans mon couple, puis quand j’ai vécu ma rupture, c’est juste sorti », explique-t-elle en entrevue.

Quoi ? Un récit autofictif d’une rupture amoureuse, donc (« inspiré d’une version de mes faits », précise-t-elle prudemment), à laquelle elle entremêle des extraits « remâchés » de son mémoire de maîtrise sur, tenez-vous bien, la saga Alien. Mieux : son récit chronologique (d’une relation « intense », quoiqu’en dents de scie, avec un amoureux alcoolique et « parasite », amoureux un jour, odieux le lendemain) suit carrément les cycles de développement du monstre, du facehugger au xénomorphe, en passant par le chestburster, le tout entrecoupé de réflexions très théoriques sur la question de l’aliénation, dans une perspective féministe. Vous suivez toujours ?

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

J’étais obsédée par ma relation de couple, et obsédée par mon mémoire. Et mon mémoire parlait d’aliénation. Et ma narratrice se sent aliénée. Alors mon livre vient mêler théorie et ressenti.

Geneviève Morin, autrice

« C’est une fille brisée par une relation qui ne fonctionnait pas, et aussi par des mécanismes internalisés de femmes », résume-t-elle (elle, l’autrice, ou l’héroïne, on ne sait plus trop). En gros : cette manie de « se porter à la rescousse », se dévouer, aider, tenter de sauver l’autre. Surtout si cet autre a des dépendances. Qu’il est dépendant. Et qu’on devient ce faisant codépendant. Bref, qu’on s’oublie. Et se perd.

La femme xénomorphique

« Il n’y a pas de méchant, pas de gentille, tient ici à nuancer Geneviève Morin, mais des choses qui se sont mal passées. Maintenant, comment on fait pour réfléchir à ces choses qui nous transforment ? »

Des choses qui nous transforment, ou nous déforment, en nous rendant « xénomorphiques », pour poursuivre avec le parallèle d’Alien. Parce que la codépendance, c’est ça : « Il y a une perdition un peu de soi-même dans une relation avec l’autre qui est intoxiqué », résume l’autrice, parlant ici à la fois de sa vie et de son récit.

D’où sa réflexion sur le féminisme, sous-jacente partout dans le texte : « Je pense que j’ai été une très mauvaise féministe », dira carrément son personnage.

« Mais c’est quoi, être féministe, en 2022 ? renchérit l’autrice. Est-ce que je suis moins féministe si, dans une relation, je ne fais pas valoir mes droits ? Finalement, il s’agit plutôt de se dire : je suis féministe, mais je réalise qu’on m’a éduquée à être une personne plus patiente, plus empathique. Reconnaître ces choses, ça fait partie de la guérison. »

Parlant de guérison, Geneviève Morin propose une image très parlante en conclusion, alliant résilience, acceptation et émancipation : « La plus grande force dans la vie, selon moi, c’est la résilience. Se reconstruire, c’est assumer qu’il y a peut-être de la colle sur les craques, et que c’est correct qu’on la voie. C’est un peu ça que j’avais besoin de me dire à moi-même. » Besoin de s’offrir un traité de paix, quoi. Avec soi. C’est fait.

En librairie le 22 février

Traité de paix pour les femmes aliens

Traité de paix pour les femmes aliens

Québec Amérique

224 pages