Quatre ans après avoir remporté le prix Goncourt pour Leurs enfants après eux, l’écrivain français Nicolas Mathieu explore dans Connemara les blessures de l’adolescence à travers la crise de la quarantaine d’une femme et d’un homme qui se retrouvent dans l’espoir de rejouer leur jeunesse. Nous l’avons joint en France pour lui parler de ce troisième roman très attendu.

D’une certaine manière, Nicolas Mathieu assure avec ce roman social la continuité du précédent, qui racontait l’histoire d’une bande d’adolescents dans une petite ville ouvrière de l’est de la France, dans les années 1990. Le personnage principal de Connemara, Hélène, poursuit par sa réussite scolaire la quête de ces jeunes filles qui grandissent « dans un petit endroit et qui rêvent d’horizons plus larges », explique-t-il au bout du fil.

À la veille de ses 40 ans, Hélène est de retour dans sa région natale, en province, après avoir quitté Paris à la suite d’un burn-out. Sur papier, Hélène a tout pour être heureuse : « des études, un bon mari, un bon job, deux enfants, une superbe maison, une grosse voiture, etc. – voilà une réussite apparente », détaille-t-il. Mais il y a cette « lézarde » qui la mine, cette impression de se sentir déjà vieille et de n’avoir pas vu le temps passer.

« Je voulais m’attarder à un personnage qui aurait rempli le cahier des charges d’époque et puis quand même, à 40 ans, se dirait : est-ce tout ? À quoi bon ? », raconte Nicolas Mathieu.

Car cette lassitude qu’il décrit n’est que bien trop universelle. Beaucoup de gens arrivent à 40 ans, selon lui, et se disent : « Est-ce vraiment ça que j’ai voulu ? Est-ce que je vais encore être aimé par d’autres yeux ? Est-ce que je vais être désiré par d’autres ? »

Hommes et femmes confondus, ce sont des préoccupations qu’on peut avoir à cet âge-là. J’entends ça beaucoup autour de moi : “J’ai eu ce que je voulais et puis, finalement, ça laisse un sentiment d’insatisfaction. Est-ce qu’il n’y a pas plus à vivre ?”

Nicolas Mathieu

La confrontation de deux mondes

Dans une ultime tentative de rattraper le temps perdu, de « s’offrir ce supplément d’adolescence », écrit l’écrivain dans le roman, Hélène retrouve Christophe, un ancien joueur de hockey qui faisait tourner les têtes de toutes les filles de son école à l’époque de son adolescence – période qu’elle croit avoir ratée, elle, la fille studieuse qui ne pouvait vivre l’amour que dans les livres. Contrairement à elle, il n’a pas poursuivi ses études et n’a jamais quitté sa ville natale – ni sa bande d’amis, d’ailleurs – et cherche à renouer avec sa gloire d’antan en réintégrant l’équipe de hockey locale.

« Christophe, c’est quelqu’un qui refuse de grandir et jusqu’au bout, il a envie de rejouer le grand moment de sa vie », avance Nicolas Mathieu.

Connemara est en quelque sorte la confrontation de leurs deux mondes opposés, qui vient poser cette question existentielle à la base du roman, selon l’écrivain : « Qu’est-ce qu’une vie qui vaut le coup ? » D’autant plus quand on devient captif de « ces existences rotatives », écrit-il, où seuls « ces récréations hebdomadaires, les dépenses qui annulaient les semaines toutes identiques, le baume des petits achats inutiles » viennent rendre la vie plus supportable…

« On est pris dans une machine, dans un dispositif où on bosse pour dépenser du pognon et on dépense du pognon pour se récompenser d’avoir bossé ; et le sens, là-dedans, on pourrait le chercher longtemps. Et puis tout ça est supportable parce qu’on se paie des petites gratifications et parce qu’on est dans l’illusion d’un perpétuel présent. On a le nez dans le guidon et on avance », dit Nicolas Mathieu.

Même si le constat semble dur, Connemara ne se veut surtout pas un roman sombre ou pessimiste. « La vie est faite de choses difficiles, quand même – le vieillissement, le travail… Donc j’essaie de montrer ça aussi, de faire des livres qui ne soient pas uniquement des célébrations de l’existence. Mais il semble quand même que quoi qu’il arrive, la joie est toujours possible – une fête en famille, la joie de l’amour, regarder un enfant grandir… Des choses plus localisées, plus temporaires, qui sont des intensités qui rachètent peut-être ce qui est pénible. »

Connemara

Connemara

Actes Sud

400 pages