(Montréal) Moins de nouveautés dans les rayons mais plus de livres dans les paniers : de la littérature jeunesse à la BD, en passant par les romans, les Québécois ont redécouvert à la faveur de la pandémie le plaisir de la lecture et surtout leurs auteurs locaux.

Privés de sorties culturelles ou de soirées entre amis pendant des mois en raison d’un confinement très strict, les habitants du Québec, pour tenter d’échapper au moins un peu aux écrans, ont lu davantage qu’avant la crise et surtout mis la main au porte-monnaie.

En 2021, les ventes de livres ont bondi de plus de 16 % au Québec, particulièrement tirées par les ventes d’auteurs locaux (+18,3 %), d’après le bilan Gaspard, qui compile les données du marché du livre.

« Il y a une croissance importante du livre québécois depuis quelques années qui a été accentuée depuis deux ans », confirme auprès de l’AFP Arnaud Foulon, président de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL).

Les appels à consommer local semblent donc avoir aussi, au Québec, touché le livre, soutenu par ailleurs par une campagne du gouvernement « Je lis québécois ».

Les lecteurs « ont voulu choisir des livres des auteurs d’ici, d’éditeurs d’ici, dans une librairie d’ici », opine Katherine Fafard, directrice générale de l’Association des libraires du Québec (ALQ).

Ils ont préféré cette littérature décrite par les experts comme « très nord-américaine mais dans une langue française », sensible à « l’autofiction », « la réalité des autochtones » ou « l’écologie ».

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Jean, auteur de Kukum

Sur le site des librairies indépendantes du Québec, 45 des 50 titres les plus vendus en 2021 sont québécois, et plus de la moitié sont parus cette année. En tête du podium, l’auteur amérindien Michel Jean avec son livre Kukum (Libre Expression, 2019), compte trois autres romans au sein du palmarès.

Pour lui, ses romans ont aussi « bénéficié d’un contexte lié à la question autochtone », qui a fait la une des journaux au Canada ces derniers mois notamment en raison de macabres découvertes autour des pensionnats pour autochtones.

Ces institutions, où quelque 150 000 enfants autochtones ont été enrôlés de force entre la fin du 19e siècle et les années 1990, les coupaient de leurs familles, langue et culture.

Cette page sombre de l’histoire canadienne a été remise en lumière après la mise au jour ces derniers mois de plus d’un millier de tombes anonymes près de certains de ces anciens pensionnats.

« Qualité »

La hausse des ventes de livres démontre aussi « la qualité de la littérature québécoise actuelle », souligne l’écrivain Michel Jean, interrogé par l’AFP.

Alors pour répondre à cette demande grandissante, les libraires ont laissé ces livres plus longtemps en vitrine. Contraints aussi par les réalités du secteur.

Les éditeurs québécois, qui publient habituellement 6000 nouveautés chaque année, ont sérieusement réduit la voilure avec des sorties en baisse de 19 % en 2020 par rapport à 2019.

Le secteur, comme d’autres au Canada, doit en effet jongler avec les pénuries : celle de la main-d’œuvre qui affecte toute la chaîne et celle, mondiale, de papier provoquée par la COVID-19 et qui fait flamber les prix.

Mais cela ne décourage pas Olivier Hamel, 40 ans, qui se définit comme un « acheteur compulsif de livres » et fréquente toutes les semaines la librairie indépendante de Verdun.

Il estime aujourd’hui que « 30 ou 40 % » de ses achats sont des ouvrages québécois. « Ça me passionne : je trouve qu’on a des écrivains, des bédéistes vraiment fantastiques, donc j’essaie de les encourager », sourit ce bibliothécaire scolaire.

Même « engouement » pour Stéphanie Gibeau, 37 ans, qui travaille en informatique et estime qu’il y a beaucoup d’« auteurs talentueux ». Elle lit aujourd’hui pour moitié des livres québécois, davantage qu’il y a quelques temps, surtout sur les conseils de son libraire.

Selon ce dernier, Billy Robinson, les retombées de cette année « assez exceptionnelle » pleuvent sur tous les genres : littérature jeunesse, adulte, essais, fiction…

Et le livre québécois s’exporte aussi davantage : selon Arnaud Foulon, il ne s’est « jamais vendu autant de droits de livres québécois sur la scène internationale, notamment en France et en Allemagne, où le Canada était l’invité d’honneur » de la foire du livre de Francfort, plus grand évènement du genre.