Nos vies seraient-elles le fruit du hasard, de rencontres inopinées, d’incidents fortuits ? Dans Paris-Briançon, Philippe Besson se fait le marionnettiste du destin d’une poignée de personnages qui se retrouvent à bord du même train de nuit, mais n’en ressortiront pas tous en vie. Nous l’avons joint pour lui parler de ce saisissant nouveau roman.

Un train de nuit qui prend une douzaine d’heures pour relier la capitale française au cœur des Alpes ? Le décor idéal pour un huis clos, avait songé Philippe Besson en apprenant, il y a quelque temps, que des lignes de trains de nuit allaient être rouvertes en France. Un lieu tout désigné pour des rencontres inattendues, des conversations « jusqu’au bout de la nuit » et une promiscuité imposée qui lui ont rappelé de lointains souvenirs avec une certaine nostalgie…

Parmi les passagers qu’on rencontre à bord, il y a ce médecin qui a eu envie d’essayer le train de nuit, peut-être pour retarder le moment de renouer avec le territoire de son enfance ; ce jeune homme qui a raté son TGV et n’a pas eu d’autre choix ; cette mère qui voyage avec ses deux enfants ; ou encore ce couple de sexagénaires qui se rend dans les Alpes pour les vacances de Pâques. Autant de personnages qui ne se seraient jamais rencontrés autrement.

Et dès les premières pages du roman, on sait d’emblée que certains d’entre eux n’arriveront jamais à destination.

« Ce ne sont ni des héros ni des salauds, ce sont des gens très simples, mais ils cachent tous les uns et les autres un secret, un mensonge, un déni, une faille, une peur, une angoisse, un désir réprimé… Et tout d’un coup, tout ça peut finalement s’exprimer parce qu’ils sont cernés d’obscurité et parce que l’autre en face est encore un inconnu, un étranger dont on pense qu’on va le quitter le matin et qui peut emporter notre secret avec lui », raconte l’écrivain.

Coup de dés

Au fil de leurs conversations, on plonge dans leur intimité, à mesure que le suspens croît, jusqu’à cet évènement qui fera dévier leur existence. Quel chemin aurait-elle pris s’ils ne s’étaient pas trouvés dans ce train ? C’est justement ce à quoi l’écrivain aimerait qu’on réfléchisse. Car tout se joue, selon lui, sur un coup de dés du hasard.

Philippe Besson est convaincu que s’il n’avait pas rencontré Thomas Andrieu, à 17 ans – une histoire qu’il raconte dans Arrête avec tes mensonges –, sa vie aurait été entièrement différente. Que s’il n’avait pas été malade à l’âge de 22 ans, s’il n’avait pas passé six mois à l’hôpital et rencontré « un certain Paul Darrigrand », il aurait été un autre homme.

« Il y a des choses qu’on choisit – on peut choisir son métier, on choisit la personne avec qui on se marie, on choisit de faire des enfants… Mais on est le jouet de choses qui nous dépassent », dit-il avec conviction.

Et s’il n’y avait pas ce virus qui, un jour, a surgi alors que personne n’y croyait, ajoute-t-il, il n’aurait pas quitté Paris tout récemment après y avoir passé les 35 dernières années de sa vie.

« J’ai très mal vécu le premier confinement. Cet enfermement m’a rendu absolument stérile alors que j’étais convaincu du contraire… Je me disais : ça va être formidable, enfermé chez soi, dans le silence, c’est exactement les dispositions dont j’ai besoin pour écrire. On écrit dans la solitude, dans le silence, dans une forme de claustration, mais en fait, entre la solitude choisie et la solitude imposée, il y a un monde. Et vous êtes absolument malheureux dans l’isolement imposé. »

Et ce roman, donc, serait peut-être l’expression, à son avis, de ce coup de dés qui l’a ramené sur les terres de sa jeunesse.

« Je crois que notre vie se décide sur des hasards, sur des rencontres inopinées, sur des incidents, sur des accidents qui, par essence, sont involontaires, imprévisibles, et qu’on n’a pas recherchés. Je suis convaincu que nos existences empruntent des trajectoires parce qu’il y a eu un caillou dans la chaussure, parce qu’on a dévié d’un coup sans y être pour rien. Et je crois qu’on est fabriqués par tout ça », estime Philippe Besson.

Et justement, parce que rien n’est décidé d’avance et que « les dés roulent sans nous », il croit que nous aurions tout intérêt à prendre conscience de la fragilité de nos existences.

« Peut-être que la morale de cette fable, c’est ça : la mort qui surgit nous rend la vie plus précieuse. Donc, plutôt que de toujours vouloir plus ou autre chose, peut-être qu’il faut regarder ce qu’on a sous les yeux, là, avec soi, dans l’instant, et savoir en profiter parce que ça peut nous échapper des mains à un moment ou un autre. » La leçon n’aurait pas pu être plus limpide.

Paris-Briançon

Paris-Briançon

Julliard

208 pages