Après avoir puisé dans l’encre de sa propre existence et dans celle de sa famille pour sa tétralogie Fleuve, Sylvie Drapeau fait paraître ces jours-ci sa toute première œuvre de fiction, Le jeu de l’oiseau. Un roman sculpté dans un roc dur, où chaque mot semble avoir été arraché au silence pesant qui entoure la violence conjugale.

« Cette fiction, je la porte en moi depuis longtemps, raconte l’autrice et comédienne. La prémisse vient d’une expérience que j’ai vécue à l’âge de 8 ou 10 ans. J’avais été invitée à dîner chez une petite fille, et au retour, dans la cour d’école, les autres élèves m’avaient dit, avec tellement de mépris : “Tu as été manger chez une femme battue.” J’avais été très troublée par cette torsion de la réalité, par ce mépris qu’on réservait à la femme battue et pas à l’homme qui bat. Comme si recevoir des coups était méprisable… »

Campé on ne sait où, à une date que l’autrice ne dévoilera jamais – « parce que la violence conjugale peut arriver n’importe où, n’importe quand » –, Le jeu de l’oiseau met en scène des jumeaux, Claire et Raymond, qui, du haut de leurs 12 ans, doivent apprendre à survivre dans un monde cruel qui les dépasse.

Le point de vue des enfants

« J’ai choisi d’adopter le point de vue des enfants sur la violence. Je suis retournée dans mon désarroi de l’époque et je suis entrée dans cette petite fille qui m’avait invitée. Contrairement à Fleuve, j’ai choisi une autre voix que la mienne. Un peu à la manière de ce que je fais dans mon métier d’actrice, je suis rentrée dans la peau de Claire… »

Pour Claire et Raymond, la violence du père est source de beaucoup de colère, d’incompréhension, mais aussi de questionnement. « La petite fille se demande comment faire pour ne pas subir la violence comme sa mère lorsqu’elle sera femme. Le petit garçon se demande comment ne pas être violent, pour ne pas devenir comme son père. Sont-ils condamnés à répéter le schéma familial : battre ou être battu ? »

Mais au milieu de cette violence sourde, la tendresse de Fabienne, la mère, agit comme un phare. Et lorsque le réel devient insoutenable, il reste le refuge de l’imaginaire, ce lieu partagé avec leur mère auquel le père n’a pas accès.

Le pouvoir de l’imaginaire représente l’espoir. Quand le père n’est pas là, tout est permis : la mère et les enfants peuvent s’envoler très haut dans leur tête. Tout est permis.

Sylvie Drapeau

« Pour Fabienne, c’est son seul moyen de survivre. C’est l’héritage qu’elle a donné à ses enfants. C’est un très grand pouvoir », ajoute-t-elle.

Aller à l’essentiel

Sylvie Drapeau connaît quant à elle le grand pouvoir de l’évocation, de la métaphore qui vaut mieux que mille images. Son court roman baigne dans une ambiance glauque et poussiéreuse : la maison plantée au bord d’un trou près d’une usine qui vomit des fumées étouffantes, le tapis où pousse une colonie de champignons. Le monde de Claire, Raymond et Fabienne est cruel et hostile jusque dans ses moindres recoins.

Pour raconter cette famille qui trop souvent se tait, Sylvie Drapeau a choisi de s’en tenir à l’essence de ses personnages, sans débordement de mots aucun. « C’est tout simple, ce texte, mais ç’a été très long à écrire, admet l’autrice. Je voulais consacrer un an à l’écriture de cette histoire ; finalement, il m’en a fallu deux… »

Tenue loin des planches par la crise sanitaire, elle a pu se plonger à satiété dans son écriture. « Et comme tout le monde, j’ai vu cette recrudescence de violence conjugale depuis le début de la pandémie. Je ne pensais pas que mon roman serait si affreusement d’actualité. »

Outre Le jeu de l’oiseau, Sylvie Drapeau verra cette semaine sa tétralogie Fleuve rééditée en un seul volume dans la collection Nomades de Leméac. « La couverture est illustrée par un dessin que mon frère a fait quelques jours avant de se noyer. C’est très beau. »

Le jeu de l’oiseau

Le jeu de l’oiseau

Leméac

118 pages
En librairie le 26 janvier

Fleuve

Fleuve

Leméac (collection Nomades)

344 pages