Le premier a 84 ans, il est britannique et cinéaste. Le second a 28 ans, il est français et écrivain. En 2019, Al Jazeera a eu l’excellente idée de réunir Ken Loach et Édouard Louis sur le plateau de l’émission Studio B afin qu’ils discutent de thèmes qui leur sont chers : l’exploitation des travailleurs, l’aliénation de la classe ouvrière, l’état de la gauche en politique et le rôle de l’art dans tout ça.

Bien sûr, les deux hommes ne parlent pas de la même place : l’œuvre cinématographique, riche, de Ken Loach met en scène les effets du système capitaliste sur les ouvriers. Le cinéaste s’est fait connaître avec le film Kes, en 1969, et enchaîne les fils autour du même thème depuis.

Le cas d’Édouard Louis est différent : jeune homosexuel ayant grandi dans la commune d’Abbeville, dans le département français de la Somme, il a lui-même été victime de violence et d’exclusion dans son milieu, et au sein de sa propre famille (il en a parlé abondamment dans ses livres).

Les deux hommes parlent de cette violence et de cette exclusion en lien avec le contexte socioéconomique des individus. Peut-on expliquer la violence – sans la justifier – en faisant un lien avec le stress et la pression que vivent les travailleurs précaires sous-payés qui doivent faire vivre leur famille ? Sans soute un peu, oui…

Un peu plus loin dans l’échange, Loach et Louis se questionnent sur la manière de faire entendre sa voix lorsqu’on fait partie des exploités. À ce sujet, Édouard Louis tient des propos très pertinents qui trouvent encore un écho, deux ans plus tard : « Comment transformer le monde si les personnes qui souffrent ont honte de souffrir ? Et donc ne veulent pas en parler ? Dans le camp littéraire ou politique, on entend souvent parler de ‟victimisation”, comme si les gens se plaignaient trop, comme si le problème de notre monde était que les gens s’affirmaient trop systématiquement comme victimes. Le mot ‟victimisation” est une stratégie rhétorique et politique des dominants pour réduire les dominés à une forme de honte et de silence. »

Questionnés sur le rôle de l’art pour changer le monde (vaste question !), les deux hommes s’entendent sur l’importance de la subversion. Aller à contre-courant de l’establishment, ne pas avoir peur de déplaire, de critiquer et de poser les questions qui dérangent… Les deux hommes se rejoignent entièrement sur cette question.

Cette plaquette de 67 pages est remplie d’excellentes pistes de réflexion.

Et pour voir l’émission originale, c’est ici.

Dialogue sur l’art et la politique

Dialogue sur l’art et la politique

Presses universitaires de France

67 pages

7/10