« Dans l’eau bleue de la mer/une roche/voudrait que je la lance au loin/pour visiter le monde », a écrit Andréa, une élève de 4e année du primaire de la communauté innue d’Ekuanitshu, sur la Côte-Nord. Comme sa roche, son poème peut visiter le monde : il est publié dans Nin Auass, Moi l’enfant, une anthologie dirigée par Joséphine Bacon et Laure Morali, coéditée par Mémoire d’encrier et l’Institut Tshakapesh, en librairie ce lundi.

C’est la linguiste Yvette Mollen qui a souhaité réunir la jeunesse innue autour d’un projet centré sur la langue. La poésie, ou kashekau-aimun en innu-aimun – ce qui veut dire « parole de fierté » –, était toute désignée.

Avant la pandémie, les poétesses Joséphine Bacon et Laure Morali ont donc animé en duo des ateliers d’écriture dans les 10 communautés innues du Québec. « Nous sommes allées dans toutes les écoles », raconte Laure Morali, jointe par téléphone. Le résultat, c’est 350 pages de poèmes écrits par des enfants et des adolescents, présentés en innu-aimun et en français.

« Les poèmes sont d’une très grande qualité, parce que pour moi, l’enfant est un poète naturellement, observe Laure Morali, une Montréalaise d’origine française. C’est en vieillissant qu’on referme un peu son regard, son émerveillement et son rapport magique au langage. Ces poèmes sont très forts, très puissants. Ils nous font entrer au cœur même de la vie innue, au-delà des images toutes faites. »

Jeune artiste innue

C’est Lydia Mestokosho-Paradis, d’Ekuanitshu, qui a illustré les poèmes de Nin Auass, Moi l’enfant. « À l’âge de ces enfants, j’aurais aimé qu’une artiste représente nos mots », témoigne la jeune femme, jointe par visioconférence à la Maison de la culture innue, où elle travaille, juste devant l’archipel de Mingan. « Ça ouvre des portes… Tu vois qu’il y a plus grand que la réserve. Et tu vois que beaucoup d’autres personnes de ton âge vivent la même chose que toi, ont les mêmes préoccupations, les mêmes rêves. Ça fait que tu te sens moins seul. »

Pour illustrer les poèmes des jeunes, Lydia Mestokosho-Paradis a utilisé le rouge, en plus du noir et du blanc.

Le rouge, c’est la couleur de la protection dans la culture innue.

Lydia Mestokosho-Paradis, artiste

L’artiste, détentrice d’une maîtrise en arts de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), a opté pour des dessins simples, « pour ne pas trop imposer [sa] vision », explique-t-elle. « Je voulais voir avec les yeux du cœur de l’enfant. Sans trop m’imposer, je laisse la chance au lecteur de continuer l’histoire. »

Peindre avec l’eau du territoire

IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Cet ours polaire avec un poisson a été peint à l’aquarelle par Lydia Mestokosho-Paradis en utilisant l’eau du lac Élie, où ses ancêtres pêchaient.

Ses illustrations ont été réalisées à l’aquarelle, en raison de sa connexion avec l’eau. « C’est l’eau qui unit toutes les communautés innues », fait valoir Lydia Mestokosho-Paradis. Ces villages ont été créés à l’embouchure de rivières, empruntées par ce peuple jadis nomade.

L’eau, c’est la vie. C’est notre moyen de transport. C’est elle qui nous nourrit avec les poissons, les crustacés, les oiseaux migrateurs. C’est aussi un de nos combats, protéger l’eau.

Lydia Mestokosho-Paradis

Pour puiser l’eau avec laquelle elle a peint ses œuvres, la jeune femme s’est rendue dans le territoire de son arrière-grand-père, au lac Élie. « Mes ancêtres étaient là, ils ont pêché sur ce lac, et moi, j’ai dessiné avec cette eau, pour perpétuer une sorte de transmission culturelle », dit-elle.

« J’étais la première autochtone qu’ils voyaient de leur vie »

Lydia Mestokosho-Paradis espère que Nin Auass, Moi l’enfant sera lu hors des communautés. Elle-même a quitté Ekuanitshu à l’adolescence. « Je suis partie pour mes études, en secondaire 4 et 5, chez mes grands-parents paternels à Rivière-du-Loup, précise-t-elle. Pour la majorité du monde à l’école, j’étais la première autochtone qu’ils voyaient de leur vie. En histoire, on apprend juste comment les Indiens vivaient dans le temps. Après, c’est comme s’ils avaient disparu. Si ce livre peut initier des discussions et montrer qu’on existe encore… »

« C’est un livre qui est un pont entre les mondes, estime Laure Morali. Le monde des adultes et le monde des enfants. Le monde des Innus et le monde des Québécois. J’espère qu’il va beaucoup voyager, parce que c’est un livre qui porte de l’espoir. »

IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Nin Auass, Moi l’enfant, anthologie de poèmes de la jeunesse innue dirigée par Joséphine Bacon et Laure Morali, coéditée par Mémoire d’encrier et l’Institut Tshakapesh

Nin Auass, Moi l’enfant
A
nthologie de poèmes de la jeunesse innue dirigée par Joséphine Bacon et Laure Morali
Coéditée par Mémoire d’encrier et l’Institut Tshakapesh
360 pages