En 2040, un acte hautement symbolique sonne le glas de la domination occidentale sur l’échiquier international : le siège de l’Organisation des Nations unies est déraciné de New York pour être transplanté à Shanghai. L’apogée d’une double ascension : celle d’un pays géant parvenu à maturité, combinée au parcours sans faute d’une femme « à l’extrême politesse et à l’implacable rudesse » devenue présidente de la Chine. Telles sont les ficelles de Shanghai 2040.

« Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera », aurait prétendument prophétisé Napoléon Bonaparte. Aujourd’hui, le géant asiatique s’agite plus que jamais dans son lit ; se pourrait-il que, dans les prochaines décennies, il en vienne à tirer les couvertures de l’influence politique internationale à lui ? Ce scénario imaginaire est au cœur du roman d’anticipation Shanghai 2040, nouvelle pierre forgée dans la grande muraille littéraire de Jean-Louis Roy – auteur d’une vingtaine d’ouvrages et actuel président de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Y est décrite une Chine ayant soif de reconnaissance culturelle, historique, diplomatique, et parvenant à récolter le statut de pôle hégémonique mondial. Ce grand bond en avant (réussi, cette fois-ci) se fera sous l’impulsion de Wei Shu, femme aux racines modestes mais à l’ascension inexorable, accédant aux commandes du pays le plus peuplé de la planète. C’est à travers son parcours, son passé, sa personnalité et sa redoutable capacité à placer ses pions que nous est conté comment l’empire du Milieu accède à la reconnaissance mondiale. Accompagnée de son shifu, mystérieux maître à penser, cette polyglotte progressiste manie surtout le verbe comme personne, arme redoutablement effilée dont elle se sert pour marquer de nombreux esprits avec peu de mots.

« Ce livre parle de la plus grande bataille de ce siècle, entre l’Occident et la Chine, ainsi que de l’histoire de cette femme et de la bataille politique et économique qu’elle mène. Qui gagnera ? Nous l’ignorons », dit Jean-Louis Roy.

Mais si la Chine l’emporte, l’une des possibilités est qu’elle réclame, au-delà de l’économie, le respect de son nouveau rôle politique. Le déménagement du siège de l’ONU à Shanghai, symbole de cette nouvelle puissance, montre qu’elle n’est pas simplement musclée économiquement, mais aussi politiquement.

Jean-Louis Roy, auteur et président de Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Au fil du récit, émerge une autre revendication chinoise : une nouvelle lecture de l’histoire, jusqu’alors foncièrement occidentalo-centriste. « Cette situation pourrait en effet se produire : nous avons en Occident une narration très centrée sur ce qu’il s’est passé en Europe. Mais quand on est chinois, elle n’est pas tout à fait la même. Le gouvernement de Chine que j’ai imaginé travaille beaucoup à imposer une nouvelle narration dans laquelle les différents héritages culturels – arabes, africains, autochtones – seront pris en compte. C’est ce qui est en train de se passer actuellement : les pays hors Occident réclament leur part. »

Une possibilité parmi d’autres

Ce scénario fictif pourrait-il se concrétiser ? Pour l’auteur, cela reste une hypothèse parmi d’autres, l’Histoire pouvant bifurquer à tout instant ; elle ne peut cependant être totalement écartée. Quant à une hégémonie culturelle chinoise imminente, il est encore tôt pour l’envisager, bien qu’il faille prendre acte de certains signaux actuels, aux dires de Jean-Louis Roy : « Il y a en ce moment une renaissance culturelle très affirmée en Chine, qui est en train de donner à sa culture des voies de passage dans le monde. Il faudra nous occuper, nous, Occidentaux, à voir le monde culturel dans sa totalité, où les cultures d’Asie et d’Afrique vont occuper une très grande place », prévient-il, précisant que son ouvrage ne constitue ni une analyse ni un reportage.

Shanghai 2040, très dense, n’en reste pas moins le fruit d’une véritable érudition sur l’histoire et la culture chinoises, permettant de mieux décoder les mouvements tectoniques d’hier, d’aujourd’hui et de demain. En plongeant dans le passé de la présidente Wei Shu, remontant le fil familial et son cheminement au sein du Parti, le récit explore par la bande les strates historiques et sociales de la Chine, du joug de l’impératrice Cixi aux politiques de développement de Deng Xiaoping en passant bien sûr par Mao Zedong.

Femme d’exception, la présidente fictive se fraie, de façon aussi implacable qu’impeccable, un passage politique en véritable funambule. Son arsenal : des déclarations métaphoriques finement ciselées, une orchestration de ses interventions réglée au nanomètre près, une image parfaitement dosée. La communication reste la clé du pouvoir. Si Jean-Louis Roy confesse ne pas s’identifier naturellement à la protagoniste, certains traits le séduisent. « J’aime beaucoup son attention au langage et l’organisation de sa pensée. Les leaders qui comptent, comme Mandela ou Senghor, m’ont toujours fasciné par l’économie et la qualité des mots. Je voulais que Wei Shu emprunte un peu cette voie », déclare celui qui lui a volontiers prêté un éventail d’expériences et de mises en contexte puisées à même son réservoir personnel à titre d’historien, de diplomate, de président de l’organisme Droits et Démocratie ou de touriste, tout simplement.


Dans une Chine où la parité hommes-femmes est certes discutée, mais loin d’être acquise, envisager une présidente est-il un rêve en couleur ? « Quand on regarde sur la carte du monde où les femmes ont déjà dirigé de grands pays, on revient toujours à l’Asie : l’Inde, le Pakistan, les Philippines, la Birmanie, le Bangladesh. C’est au tour de la Chine d’avoir une femme », estime M. Roy, qui souhaite avant tout observer l’émergence de « leaders éclairés ».

Shanghai 2040 sera traduit en anglais et, éventuellement, en chinois.

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Shanghai 2040, de Jean-Louis Roy

Shanghai 2040
Jean-Louis Roy
Libre Expression
248 pages