Ce recueil contient les 25 textes qu’a écrits Wajdi Mouawad entre le 16 mars et le 20 avril 2020, et qui ont été audiodiffusés par le Théâtre de la Colline à Paris. Ce n’est pas qu’un livre sur la pandémie, mais plutôt le journal d’un homme qui réfléchit. La crise sanitaire devient prétexte à le projeter sur les traces d’une humanité en péril.

Le rêve et la poésie nourrissent Wajdi Mouawad dans son voyage au bout de la nuit. Lorsque le soleil se couche, l’écrivain voit clair et se promène. Confiné chez lui à Nogent-sur-Marne, il réfléchit à la condition humaine en temps de crise. La pandémie ressemble à une guerre, lui rappelant celle qu’il a vécue, enfant, au Liban. Ce livre est peut-être aussi le texte le plus personnel et intime qu’il nous ait offert.

Son écriture en fragments se compose d’éclairs qui traversent son esprit vif. Nous assistons aux visions d’un artiste qui prédit ce qui va suivre, c’est-à-dire ce que nous vivons maintenant. La nuit le ramène également à ses souvenirs familiaux ou montréalais – « je n’ai jamais aimé une ville comme j’ai aimé Montréal ». Voici aussi l’enfant de son père devenu parent à son tour, inquiet et protecteur.

Son miroir à la maison lui renvoie l’image d’une aliénation. La sienne et celle d’humains qui ne décolèrent pas alors qu’ils forment pourtant une même tribu. « Qu’est-ce qui nous empêche de rester dans la mesure ? », demande-t-il.

Malgré la crise, il garde espoir. Reconfiné en novembre dernier au moment de la correction d’épreuves de Parole tenue, il y ajoute un texte où il parle de clairières dans lesquelles survit « plus grand que nous ».

Wajdi Mouawad nous offre le livre de la pandémie qu’il faut lire maintenant parce que demain sera trop tard. Ce n’est pas un expert scientifique qui avertit le gouvernement, ici, c’est l’avis d’un auteur d’une grande sensibilité assis au chevet de ses semblables dépassés par les évènements.

Ses déambulations nocturnes lui confirment nos besoins essentiels en contacts et en échanges non commerciaux. Encore faudra-t-il choisir entre « avoir du courage ou avoir une machine à laver ». Savoir reconstruire les liens et déconstruire les peurs comme il tente de le faire dans une lettre émouvante adressée à son fils.

On pourrait croire le dramaturge d’un sérieux à toute épreuve, jusqu’à l’ennui peut-être. Ce serait ignorer son humilité devant la mort et son humour parfois candide. Dans un « coup d’état poétique », en réponse au président Macron, il souligne que le vaccin, c’est l’art et la poésie.

Wajdi Mouawad est un chat qui se promène la nuit. Pas gris du tout. Plutôt brillant.

Parole tenue – Les nuits d’un confinement mars-avril 2020
de Wajdi Mouawad
Leméac/Actes Sud
168 pages ★★★★