Valide raconte l’histoire d’un homme devenu femme, qui revendiquera sa validité dans un monde dystopique miné par les crises sanitaire et climatique, sous le joug d’une intelligence artificielle qui contrôle tout et où la différence est prohibée. Une plongée dans l’univers de Chris Bergeron, qui nous offre un thriller identitaire prenant où l’autofiction rencontre la science-fiction.

Dans les années 2000, Chris Bergeron a dirigé la rédaction du journal Voir Montréal. Journaliste, elle est passée du côté du marketing et de la publicité, chez Sid Lee, et aujourd’hui, chez Cossette, où elle occupe le poste de vice-présidente, expérience et contenu.

Cette transition de carrière est survenue simultanément à sa transition de genre. « Je n’avais pas l’impression qu’une journaliste trans, il y a 10 ans, c’était possible, alors j’ai abandonné mon rêve », explique la romancière rencontrée au Mélisse, restaurant du Vieux-Montréal où elle a ses habitudes et qui est évoqué dans son premier roman, qui sera publié le 31 mars.

Valide s’est écrit par « touches », en deux ans, dont une partie durant le premier confinement. D’abord des éléments de souvenirs, des réflexions. Un jour, elle a lu quelques phrases à une personne qui lui a dit : « J’ai hâte de savoir comment ça se termine ! »

C’est ce qui a fait naître l’étincelle, cette rencontre entre autofiction et science-fiction. « Ce sont ces mondes que j’ai envie de décrire, je veux aller dans l’imaginaire. J’aime ce côté “remix” de la réalité que permet la science-fiction », explique celle qui évoque une possible trilogie autour de cet univers de science-fiction « introspective ».

Avec son regard aiguisé, elle a imaginé cette dystopie qui se déroule en 2045 et qui donne froid dans le dos. Car l’histoire n’est pas si loin de notre réalité : omniprésence des virus « super grippaux » forçant les confinements saisonniers, contacts sociaux faméliques, conditions météorologiques extrêmes, restrictions des libertés individuelles, état de surveillance…

Cette société autocratique est contrôlée par David, une intelligence artificielle, outil de surveillance hyper sophistiqué déguisé en assistant personnel auquel les humains – on vote désormais sur les réseaux sociaux – ont accepté de se soumettre au profit du bien commun : sauver la planète. Mais la multinationale qui a créé David dit-elle vraiment la vérité ?

Thriller identitaire

Avec son univers un peu « comic book », sa multitude de références à Star Wars, à des auteurs de science-fiction comme Philip K. Dick ou William Gibson (associé au cyberpunk), mais aussi ses évocations d’étés passés sur le bord de la mer en France qui rappellent « un petit côté Beigbeder dans la nostalgie de l’adolescence », Mme Bergeron croit qu’« il y a de tout pour tout le monde » dans son roman. « C’est un roman qui est transgenre, qui va d’un genre littéraire à un autre. »

Des univers et des registres opposés se côtoient ainsi dans Valide. « J’installe dès le début un genre de peur, car j’annonce qu’il n’y a pas de chances que ça se passe très bien pour le personnage, puis ça vient un peu bucolique, mignon, avant de devenir un thriller identitaire où, là, les enjeux sont graves. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La romancière Chris Bergeron

Ce roman est une résistance au formatage.

Chris Bergeron, romancière

L’expérience trans et le rapport au corps sont des thématiques importantes, mais le roman va bien au-delà de cela. « Je parle aussi du formatage qu’on nous impose et qui vient guider notre relation à notre corps. On est très formaté aujourd’hui, il y a les réseaux sociaux qui viennent redessiner, reconnecter nos neurones, changer nos rapports aux autres, au temps, à la politique, à tout. On est en train de devenir une autre espèce dont les coutumes, paramètres, sont déterminés par des start-up en Californie », fait-elle remarquer.

Se faire révolution

« À mon âge, 45 ans, avec ma carrière, lancer cet objet un peu ovni dans la nature… Il y a un peu de rébellion là-dedans », estime l’autrice.

Une rébellion, dit-elle, par rapport à un quotidien « confortable », celui qu’elle vit, et celui que vit aussi son personnage, Christian/Christelle, qui connaîtra à 70 ans un « éveil » et se fera révolution après s’être résolu longtemps à nier son identité de femme trans afin de vivre nourrie, logée, soignée, dans une bulle qui a l’allure d’une prison.

« Avant, on parlait de confinement. Maintenant, tu nous parles de civisme. Faire preuve de civisme, c’est ne plus jamais quitter sa bulle. Tu as fait de nous des scaphandriers. Moi, je préfère l’apnée. Depuis que je vis avec toi, je retiens mon souffle », dit le personnage à David au début de ce récit qui se déploie comme un long dialogue à l’air de combat entre l’homme et la machine.

Dans ce Montréal futuriste, ceux qui n’entrent pas dans le moule de la binarité des genres sont honnis de cette civilisation aux contours lisses, trop lisses. Un tel recul est-il imaginable ? Il est vrai, dit-elle, qu’il y a aujourd’hui une plus grande ouverture aux personnes trans, qui s’expriment davantage sur la place publique, comme en témoigne la publication cette saison au Québec de deux romans écrits par des femmes trans, le sien et celui, « magnifique », de Gabrielle Boulianne-Tremblay, La fille d’elle-même.

Mais ces avancées demeurent fragiles. Une crise – économique, sanitaire, écologique – pourrait faire tout basculer. « En faisant ma transition, j’ai vu ce que c’est que d’être de l’autre côté du miroir, comme Néo qui prend la pilule dans The Matrix. Quand on est une minorité, ce n’est pas nous qui décidons de la place qu’on occupe dans le monde, mais les autres. Aujourd’hui, on nous donne une place, mais ça pourrait changer demain. Dans un état d’urgence, les droits disparaissent. »

En librairie le 31 mars

PHOTO FOURNIE PAR XYZ

Valide, Chris Bergeron, Éditions XYZ, 272 pages