Avant d’être banalisés par la téléréalité, les mots « Big Brother » évoquaient surtout l’univers totalitaire et pas totalement inventé de 1984, célèbre roman de George Orwell. L’œuvre ressurgit dans toute sa puissance glaçante sous la plume pourtant colorée du bédéiste Xavier Coste.

2021, l’année de 1984

George Orwell, aussi auteur de La ferme des animaux, est mort en 1950. L’essentiel de son œuvre est tombé dans le domaine public le 1er janvier dernier. Ceci explique cela : déjà trois adaptations de son roman 1984 ont été publiées depuis le début de l’année en France seulement. Celle de Xavier Coste se démarque par son approche radicale sur le plan visuel, toujours au service d’un propos d’une clarté terrifiante dans lequel on reconnaît parfois un peu trop notre époque.

Pensée policée

Le récit se déroule en 1984. Ou à peu près en 1984, puisque le narrateur principal, Winston Smith, n’a aucun moyen d’en être certain. Le monde dans lequel il vit – Océania, perpétuellement en guerre contre l’Estasia ou l’Eurasia – a déjà détruit l’Histoire. Lui-même travaille au ministère de la Vérité, dont la fonction est de réécrire le passé afin qu’il corresponde aux versions changeantes qu’en donne le Parti pour justifier le présent.

Ce système totalitaire dominé par la figure de Big Brother surveille tout à travers un système de caméras et de télécrans. Il encourage la délation et a même implanté dans la tête de ses citoyens l’idée qu’il existe un crime plus abject que tous les autres, le « crime par la pensée ». Qui se résume à une chose assez simple : douter, même un peu, de la Vérité du Parti.

Winston, comme ses concitoyens, vit dans la peur qu’un jour, lui aussi, il sera « vaporisé ». C’est-à-dire qu’il sera arrêté et effacé des registres officiels, que ceux qui l’auront connu s’efforceront de l’oublier. Une partie de lui ne peut toutefois pas s’empêcher de prendre le risque de vivre…

Code de couleurs

  • Extrait de 1984, adaptation de George Orwell par Xavier Coste

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    Extrait de 1984, adaptation de George Orwell par Xavier Coste

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L’univers de 1984 appelle la grisaille. Xavier Coste a fait le choix contraire : son adaptation est étonnamment colorée. Il y a du gris, bien sûr, mais il pose aussi un code de couleurs : du bourgogne lorsque Winston est seul avec lui-même, du jaune lorsqu’il doit faire semblant de rentrer dans le rang et du bleu dans un passage terrible où il subit le pire de ce que le régime de Big Brother inflige. Plutôt que de chercher le réalisme, sa plume évoque, suggère, griffonne ou peint les atmosphères. C’est à la fois impressionniste et fin. Ses visages trouvent la vérité, alors que ses décors (inspirés de l’architecture brutaliste), son esthétique visuelle (rappelant les affiches de propagande soviétique ou nazie) et le visage qu’il donne à Big Brother (une espèce de Staline en plus beau gosse, ou un Lénine avec des cheveux) rappellent que le roman de George Orwell s’est inspiré de certains des pires régimes du siècle dernier.

Un ton intimiste

Ce qui tient cet album au visuel fantastique, c’est toutefois la qualité de sa narration. Xavier Coste réussit le tour de force de composer une œuvre mince en dialogues où l’essentiel passe par une sorte de voix hors champ sans ennuyer et sans créer de distance. Son découpage rapproche au contraire le lecteur de Winston, donne l’impression d’entrer dans sa tête et dans son cœur lors de son idylle avec Julie. D’où cet électrochoc lorsqu’il se fait prendre et torturer par la police de la pensée.

Un miroir inquiétant

Le roman 1984, on l’a souvent dit, tend un miroir. Et si son propos frappe tout particulièrement en 2021, ce n’est pas seulement parce qu’on vient de traverser quatre années à entendre les discours trompeurs de Donald Trump, sa manière insidieuse de distiller la haine, à être confrontés à des « faits alternatifs » et à leurs impacts bien concrets. Ce que 1984 rappelle, c’est à quel point la pensée unique est dangereuse et la valeur de l’esprit, critique. Que de remettre en question le pouvoir n’est pas un luxe. Qu’il existe aussi des polices de la pensée dans notre société, entre autres sur les réseaux sociaux, et que leur impact n’est pas que virtuel.

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS SARBACANE

1984, adaptation de George Orwell par Xavier Coste

1984
Adaptation de George Orwell par Xavier Coste
Éditions Sarbacane
224 pages
★★★★½