Avec Va me chercher Baby Doll, son quatrième roman, Lucie Lachapelle nous amène à la rencontre de ceux qui vivent en marge de la société, dans un récit à la fois prenant et émouvant qui prend la forme d’un roadtrip initiatique sur les routes de Senneterre à Saskatoon.

Cartouche n’a pas eu une vie facile. « Mon enfance, je l’ai avalée de travers », lance-t-elle au début du roman. Serveuse dans des bars, danseuse parfois, d’où lui est venu ce surnom qui désormais lui colle à la peau, elle s’est retrouvée en prison après avoir tué un homme qui était en train de violer une jeune Anichinabée. Derrière les barreaux, elle a fait la connaissance de Manouche, une prostituée devenue receleuse, une dure à cuire au grand cœur, qui l’a prise sous son aile.

Désormais libre, Cartouche vit recluse dans une cabane en bois rond dans la forêt abitibienne, bien décidée à profiter d’une liberté qu’elle veut « totale », mais reste hantée par son geste et son passé difficile. Jusqu’à ce qu’elle reçoive un message de Manouche : « Va me chercher Baby Doll », la fille de cette dernière. Car Baby Doll, qui a disparu, est prise dans le cercle vicieux de la prostitution et de la dépendance. Sa mère, qui souffre d’un cancer du sein fulgurant, veut lui éviter le même destin qu’elle.

« Je m’intéresse à la marginalité, explique au téléphone Lucie Lachapelle. J’avais envie de faire vivre des personnes issues de milieux marginaux sur la page, de leur donner leur humanité, d’aller au-delà des idées préconçues. Je me suis inspirée de personnes que j’ai rencontrées, des femmes fortes, réelles. » Et c’est cette envie de faire rencontrer aux lecteurs des personnages qu’ils n’auront peut-être jamais l’occasion de côtoyer dans leur vie qui l’a portée dans l’écriture de ce quatrième roman.

Du documentaire aux romans

C’est tardivement dans sa vie que Lucie Lachapelle a eu envie de plonger dans l’écriture. Elle a longtemps travaillé à l’ONF comme recherchiste, a réalisé en 1994 le documentaire La rencontre, qui abordait la question des relations entre les Premières Nations, les Inuits et les Québécois, un sujet qu’elle connaît bien, elle qui a eu deux enfants métis cris. Elle a aussi réalisé une série autour de la santé mentale, abordant des sujets comme l’autisme et le trouble de stress post-traumatique.

Son premier roman, Rivière Mékiskan, un récit initiatique qui a remporté le prix littéraire France-Québec en 2011, racontait l’histoire d’Alice, qui rapportait les cendres de son père amérindien dans son village natal. « Au départ, c’était évident pour moi que cette histoire devait passer par le cinéma, mais comme c’est extrêmement onéreux et complexe, je me suis tournée vers le roman », se remémore celle qui travaille actuellement à l’écriture de récits autobiographiques racontant sa propre rencontre avec le monde autochtone.

C’est assez timidement que je me suis lancée dans l’écriture ; je ne pensais pas être écrivaine, mais j’avais envie de raconter ces histoires que j’avais en moi.

Lucie Lachapelle

Dix ans plus tard, on peut dire qu’elle y a pris goût. Publié en 2014, Histoires nordiques est un recueil de nouvelles inspiré entre autres de son expérience comme enseignante au Nunavik, alors que Les étrangères, paru quatre ans plus tard, racontait les histoires croisées de femmes vivant dans le même immeuble et y abordait plusieurs questions sociales en posant un regard sur le « vivre-ensemble ».

L’idée de départ de ce nouveau roman prend racine dans une expérience que la romancière a vécue à la fin des années 70, alors qu’elle vivait en Abitibi, une région pour laquelle elle a une affection profonde. « J’ai vu un soir un ivrogne agresser une jeune Anichinabée dans la ruelle d’un bar. Je me suis sentie impuissante, et très indignée. C’est une image assez terrible, qui est remontée il y a quelques années. Je me suis demandé : qui aurait été cette femme à ma place qui l’aurait défendue ? C’est ainsi que j’ai créé le personnage de Cartouche », raconte-t-elle.

La route, la nature, la musique

Cartouche s’embarque donc, à bord de son camion, pour une virée initiatique qui la mènera jusqu’à Saskatoon, traversant des villages perdus, dormant dans des motels miteux, afin de sauver Baby Doll d’elle-même. Et peut-être, en avalant les kilomètres, arrivera-t-elle à retrouver ce chemin qu’elle a barricadé entre elle et les autres, elle et le monde.

J’ai lancé Cartouche sur la route, car j’aime faire de la route, et je trouvais qu’il n’y avait pas beaucoup de romans de la route au féminin. Sur son chemin, elle rencontre des gens marginaux, des laissés-pour-compte, ils se reconnaissent entre eux, sans jugement.

Lucie Lachapelle

En Abitibi, Cartouche se reconstruit lentement, au contact de la nature, qui prend une dimension spirituelle dans le roman, élément de guérison, aidant l’humain à reprendre contact avec son essence profonde. « La nature a toujours été pour moi primordiale, un lieu de ressourcement. J’ai une histoire d’amour avec l’Abitibi, c’est un endroit pour lequel j’ai eu un coup de foudre, qui est très cru aussi, contrasté aussi », remarque-t-elle.

Deux adjectifs qu’on pourrait aussi coller à son écriture. « C’est vrai que tous mes romans sont assez crus, abrupts, même s’il y a aussi de l’amour, de l’espoir. » De la lumière, aussi, aurions-nous envie de dire, car même s’ils sont « poqués » et marginaux, les personnages de Va me chercher Baby Doll sont aussi touchants d’humanité et criants de vérité.

La musique occupe une place centrale dans le roman, elle enveloppe, porte, calme le personnage. Tout au long de son roadtrip, Cartouche roule au son des Lucinda Williams, Neko Case, Willie Nelson ou Richard Desjardins. Suggestion : inspirez-vous de la liste de lecture publiée à la fin du roman afin de créer une ambiance sur mesure à votre lecture !

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Va me chercher Baby Doll, de Lucie Lachapelle

Va me chercher Baby Doll
Lucie Lachapelle
XYZ
192 pages