Que devrait-on faire lire aux élèves québécois au secondaire ? Des livres de Gabrielle Roy, de Michel Tremblay et d’Anne Hébert, selon les lecteurs de La Presse, qui vantent aussi Kukum de Michel Jean. L’idée d’une liste d’œuvres incontournables que suggèrent d’établir les jeunes caquistes ne fait toutefois pas l’unanimité.

Le coup de sonde n’a rien de scientifique, mais il est éloquent. Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, qui dépeint la vie dans le quartier ouvrier de Saint-Henri au début des années 1940, se classe au premier rang des œuvres que les jeunes Québécois devraient lire au secondaire, selon la compilation de près d’une centaine de courriels de lecteurs de La Presse qui ont répondu à un appel à tous lancé jeudi.

Il est suivi de près par Kukum, de Michel Jean, lauréat du prix France-Québec et l’un des romans les plus vendus l’an dernier au Québec, considéré par plusieurs comme un portrait essentiel des réalités autochtones. Viviane Giguère juge que ce roman, qui l’a « émue et choquée », pourrait contribuer à déconstruire les préjugés envers les autochtones, un point de vue partagé par plusieurs autres lecteurs.

Anne Hébert figure aussi parmi les auteurs les plus cités (pour son roman Kamouraska d’abord, puis pour Les fous de Bassan). Le prolifique Michel Tremblay se classe sans surprise parmi les plus nommés avec ses Chroniques du Plateau Mont-Royal (La grosse femme d’à côté est enceinte et Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges surtout), mais aussi pour plusieurs autres œuvres, dont des pièces de théâtre comme Les belles-sœurs.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Kim Thuy

Kim Thúy (avec Ru, en particulier) et Dany Laferrière (surtout pour L’énigme du retour) ont aussi les faveurs des lecteurs de La Presse, tout comme Réjean Ducharme (L’avalée des avalés, en particulier), Marie Laberge (plusieurs romans) et Anaïs Barbeau-Lavalette (pour La femme qui fuit).

Si de nombreux classiques sont vantés, comme Agaguk d’Yves Thériault, Les Plouffe de Roger Lemelin ou Trente arpents de Ringuet, des noms moins attendus figurent aussi parmi les suggestions. On pense entre autres aux œuvres de l’anthropologue Serge Bouchard et à Mordecai Richler (L’apprentissage de Duddy Kravitz). Des auteurs très en vogue comme Patrick Senécal (Le passager) et David Goudreault (La bête à sa mère) sont aussi cités plusieurs fois.

Une idée qui divise

Plusieurs lecteurs accueillent avec beaucoup d’enthousiasme l’idée des jeunes caquistes, qui suscite aussi beaucoup de réserve.

« Je trouve que c’est intéressant, mais je dois avouer qu’en tant qu’élève de cinquième secondaire, je suis partagée, écrit Kamylia Bélanger. Je suis d’avis que les enseignants, qui connaissent leurs élèves, sont plus en mesure de choisir des livres adaptés aux goûts des étudiants. Si une liste plutôt restrictive est mise en place, je crois que le goût de la lecture pourrait disparaître chez les jeunes si les romans ne sont pas intéressants. »

L’importance de mettre au programme des œuvres qui suscitent l’envie de lire est au cœur des préoccupations de plusieurs lecteurs de La Presse.

Il ne faut jamais oublier que l’on s’adresse à des jeunes et leur faire lire des livres ennuyants à leurs yeux pourrait les dégoûter de la lecture et de la littérature québécoise J’ai toujours dit à mes élèves : si vous n’aimez pas un livre, changez ! Il y en a tellement à lire ! Je voulais leur donner le goût de lire et ça marchait.

Suzanne Lemelin

Maria Chapdelaine, emblème du roman du terroir donné à titre d’exemple par Keven Brasseur des jeunes caquistes, est cité par plusieurs lecteurs de La Presse comme le livre à ne pas faire lire au secondaire puisqu’il a « mal vieilli ».

Pour d’autres, instaurer une telle liste de lecture constitue une forme d’ingérence dans le travail des professeurs. « Les enseignants de français ont plusieurs cours de littérature à l’université. S’ils ne sont pas bien placés pour choisir les livres qu’ils feront lire aux élèves, ça ne va pas bien », fait valoir Jonathan Savoie, qui s’inquiète aussi de la politisation d’une telle liste.

Les plus réfractaires craignent qu’une liste de lecture établie par un gouvernement revienne ni plus ni moins à un formatage des esprits. « Je frémis en lisant les mots “contenu pédagogique” comme critère dans le choix des œuvres québécoises. Qu’est-ce que cela signifie ? On en revient aux années de grande noirceur alors que les œuvres devaient être édifiantes, s’inquiète Bernard Marcoux. On juge une œuvre littéraire sur sa valeur littéraire, point final. »