Il ne faut pas croire tout ce qu’on lit. Surtout dans les polars, qui sont des labyrinthes tissés de fausses pistes. Ici, les toutes premières se trouvent en quatrième de couverture : Le chant des ténèbres, nouveau roman d’Ian Rankin mettant en scène l’inspecteur Rebus, aurait pour toile de fond le Brexit et la violence xénophobe. Ce n’est pas faux, mais c’est loin d’être le fond de l’affaire.

Rebus, qu’on retrouve avec plaisir avec son mauvais caractère, est tiré du lit par sa fille Samantha : son conjoint, Keith, a disparu. Il n’en faudra pas plus pour que l’inspecteur à la retraite mette le cap sur le nord de l’Écosse pour soutenir sa fille dans cette épreuve, tout en mettant son nez partout, en particulier là où il ne devrait pas. En parallèle, en compagnie de Malcolm Fox, son ex-collègue et amie Siobhan Clarke enquête sur l’assassinat d’un jeune étudiant saoudien bien nanti qui fricotait avec la haute société.

Le lien entre les deux enquêtes ? Le regard méfiant qu’on pose sur les étrangers, c’est vrai. Il n’est pas du tout exclu que Salman bin Mahmoud ait été victime d’un crime raciste, en effet. En cherchant le compagnon de sa fille, Rebus en vient à creuser l’histoire d’un camp de prisonniers du nord de l’Écosse datant de la Seconde Guerre mondiale qui a laissé de profondes cicatrices dans la communauté. Autre lien possible : les tractations financières de promoteurs richissimes qui, curieux hasard, gravitent en marge des deux sombres histoires…

Ian Rankin, comme toujours, tisse ses fils avec minutie, en insistant sur la peinture sociale. Édimbourg, sous sa plume, n’a rien d’une ville de carte postale : c’est une capitale avec ses recoins sombres et ses rapaces. Big Ger Cafferty, toujours au sommet de la pègre locale, y veille. Ce monde qui « sombre dans le chaos », le romancier l’observe d’un regard qui se veut neutre : il n’a pas plus de sympathie pour les hippies idéalistes qui vivent dans leur bulle en donnant des leçons aux autres que pour les financiers aux dents longues. Il n’y a pas de bons et de méchants, que des teintes de gris habilement délayées ici.

Surtout, ce qui happe dans ces pages, c’est que l’écriture du romancier écossais est traversée d’une réelle empathie pour ses victimes. Ses morts, bien sûr, mais aussi leurs proches. Ian Rankin ne monte pas des mécaniques froides où il n’y a que la surprise qui compte ; il s’intéresse aux gens et à leurs drames intimes. Bien plus que la moyenne des auteurs de polars. Au-delà de son intrigue – bien ficelée sans être haletante –, c’est là que se trouvent la force et la profondeur de ce Chant des ténèbres : dans ce qu’il dit de la condition humaine.

★★★ ½
Le chant des ténèbres
Ian Rankin
Éditions du Masque
395 pages
En librairie le 3 mars