Avec L’intrusive, Claudine Dumont nous plonge dans les eaux troubles du cerveau de Camille, un personnage grugé par l’insomnie qui devra affronter ses monstres intérieurs pour découvrir qui elle est réellement. Attention : cauchemars en vue.

Originaire de Laval, Claudine Dumont est doctorante en littérature et est aussi enseignante au secondaire. Ses deux premiers romans, Anabiose (2013) et La petite fille qui aimait Stephen King (2015), ont reçu un accueil très favorable.

Avec L’intrusive, qu’elle publie après un hiatus de six ans durant lequel elle s’est notamment lancée dans l’aventure d’ouvrir un café (aujourd’hui fermé) avec sa sœur, elle offre de nouveau un thriller psychologique flirtant avec l’horreur qui nous tient au bout de notre chaise du début à la fin.

Ce troisième roman boucle peut-être la fin d’un cycle d’écriture, avance-t-elle. « C’est un peu comme les périodes en photographie, où tu viens de découvrir un filtre et que toutes tes photos se ressemblent ! Je veux peut-être explorer d’autres choses à l’avenir, mais la psychologie et la psychanalyse restent des thèmes qui m’intéressent », explique celle qui s’adonne aussi à la photographie depuis plusieurs années.

Je commence toujours mes romans à partir d’une question.

Claudine Dumont

Ainsi, dans Anabiose, elle se demandait si on peut arriver à « manufacturer » le sentiment amoureux en mettant en scène deux étrangers pris ensemble dans un huis clos haletant. Dans son deuxième roman, elle explorait plutôt les limites de l’amour – « peut-on continuer à aimer quelqu’un même s’il change ? » – en racontant l’histoire de deux sœurs dont la relation fusionnelle est menacée par un accident qui va tout changer.

La genèse de L’intrusive est cette fois une interrogation qu’elle résume ainsi : « Si on fait une erreur d’interprétation sur qui on pense qu’on est, alors que notre personnalité se construit, qu’est-ce qui arrive ? » Et pour répondre à cette question, la romancière a imaginé un suspense psychologique efficace, un monde cauchemardesque peuplé d’insectes grouillants et de monstres qui se tapissent dans l’ombre, où la réalité prend des teintes pour le moins inquiétantes.

Si elle avoue avoir toujours eu une vie « super traditionnelle », Claudine Dumont a développé dès son jeune âge une fascination pour le genre de l’horreur. « Les livres m’ont permis de ressentir des choses que je ne pouvais pas vivre dans la réalité. C’est une intensité que j’aime et ce que je veux faire vivre à mes lecteurs. »

Être son pire ennemi

L’intrusive s’amorce alors que le personnage de Camille est en train de se briser en mille morceaux. Elle ne dort plus depuis des semaines, mange à peine, perd le contact avec la réalité. Aucun traitement ni aucune pilule n’y fait, jusqu’à ce que, à bout de ressources et voulant absolument revoir sa nièce Jeanne, la fille de son frère Laurent, elle accepte d’aller rencontrer un dénommé Gabriel dans sa maison éloignée de tout.

Ce dernier, bourru, mystérieux, voire inquiétant, a une intrigante machine qui, affirme-t-il, peut enregistrer les rêves. Et il croit pouvoir aider Camille à dormir à nouveau. Mais elle devra d’abord accepter de perdre le contrôle, de laisser ce dernier entrer dans son inconscient, ce à quoi elle résiste avec un entêtement qui tient de l’instinct de survie.

Qu’a-t-elle peur de découvrir, enfoui dans les limbes de son cerveau, caché dans le noir ? « Je ne veux pas être cette femme qui a peur de ce qui bouge dans le noir de son esprit », remarque avec détresse Camille dans les premières pages du roman.

Pour expliquer comment son personnage en est arrivé là, l’autrice fait d’habiles retours dans le passé, où on découvre peu à peu à quel point la mère de Camille, un personnage troublant que la petite fille idolâtre, a instillé en elle un besoin de contrôle viscéral qui prend des proportions de plus en plus tordues et horrifiantes.

« Un des thèmes du roman, c’est le contrôle. Dans notre société, c’est souvent considéré comme une bonne affaire, mais il y a un côté très négatif, des conséquences à long terme. C’est ce que je voulais explorer : quand le contrôle fait que tu deviens ton pire ennemi », détaille Mme Dumont.

Fais de beaux rêves…

« Le livre fonctionne comme un rêve, explique l’autrice. Pas juste dans les passages où Camille rêve, mais aussi dans les séquences qui racontent des souvenirs, qui sont toujours provoqués par quelque chose qui est arrivé dans sa journée. »

Brouillant habilement la frontière séparant les rêves de la réalité, elle entortille le lecteur dans sa toile d’araignée, le gardant captif, jouant avec les repères. Camille est-elle en état d’éveil ou dort-elle ? Gabriel, avec son regard noir et trouble, est-il vraiment menaçant ?

Au cours de ses études littéraires à l’UQAM, Claudine Dumont s’est intéressée de près à la psychanalyse. Pour ce nouvel opus, elle s’est replongée dans des lectures sur l’inconscient, les rêves, leur symbolisme. « J’ai lu sur l’interprétation des rêves, dont les recherches en neurosciences, qui ne sont pas seulement basées sur l’inconscient. Tout ce dont je parle dans le livre est documenté, comme les hallucinations après plusieurs jours d’insomnie, des épisodes de microsommeil… Mais je me suis aussi beaucoup amusée en racontant certains rêves, car je voyais le film dans ma tête ! »

Parlant de film, son premier livre devait justement être transposé au grand écran par le réalisateur Éric Tessier, un projet qui est finalement tombé à l’eau. Qu’à cela ne tienne, elle a commencé à travailler sur le scénario de L’intrusive. « Personne ne me l’a demandé, mais je trouve que ça ferait un bon film ! », conclut-elle en riant. Une très bonne idée, aurions-nous envie d’ajouter…

PHOTO FOURNIE PAR XYZ

L’intrusive, de Claudine Dumont

L’intrusive
Claudine Dumont
XYZ
384 pages