Après nous avoir offert trois romans autobiographiques qui tournaient autour de son histoire d’amour avec « un certain Paul Darrigrand », Philippe Besson revient à la fiction pure en se glissant dans la peau d’une mère de famille dans la cinquantaine.

Son roman se déroule au cours d’une seule journée, un dimanche, alors qu’Anne-Marie et Patrick aident leur petit dernier, Théo, à emménager dans son premier appartement. Cette journée, Anne-Marie la redoutait depuis longtemps, mais elle ne se doutait pas à quel point elle allait lui faire mal.

Presque tous les parents qui se sont retrouvés dans une maison vide connaissent ce sentiment de lourdeur, cette tristesse de savoir que la vie de famille qu’on a tant aimée n’existera plus jamais sous cette forme-là. En une journée, entre les boîtes et le ménage, la mère de Théo se remémore sa vie de femme : la rencontre avec son mari, la naissance de ses trois enfants, la routine, les gestes anodins du quotidien. Faire griller du pain, préparer un café, ces gestes qu’on accomplit sans même y penser n’ont pas le même poids quand on sait qu’on les fait pour la dernière fois. Ils deviennent presque solennels.

Pour une femme qui s’est entièrement consacrée à ses enfants, le vertige est grand et Besson le décrit avec beaucoup de justesse : Anne-Marie s’ennuiera des vêtements de Théo qui traînaient sur le plancher de sa chambre, des heures qu’il passait devant ses jeux vidéo, de ses mauvais coups, même de leurs disputes. Mais ce qui lui manquera le plus, c’est l’intimité partagée, ce quotidien commun qui ne sera plus jamais.

Comme c’est le cas de bien des parents, surtout les mères, la vie d’Anne-Marie était remplie et comblée par celle de son enfant. Elle avait le sentiment d’être utile, de servir à quelque chose. Alors qu’elle va chercher du réconfort auprès de son aîné ou d’une amie, on lui renvoie des clichés, des phrases toutes faites qui n’ont pas beaucoup de sens pour elle : tu auras du temps pour toi, tu vas te retrouver, tu devais être fière d’avoir élevé un enfant autonome… Elle ne veut pas les entendre : elle s’ennuie des joues rebondies de Théo, de son enfance, de leur complicité, de son besoin d’elle.

À ses côtés, il y a Patrick, un mari taiseux, lui aussi aux prises avec son trop-plein d’émotions qu’il évacue à sa manière : en accomplissant de petits travaux autour de la maison. Ils forment un couple comme tant d’autres, un couple qui communique plus ou moins bien, qui s’est installé dans une dynamique qui lui est devenue familière et rassurante, même si elle n’est pas toujours satisfaisante. Ce couple durera-t-il maintenant qu’il se retrouve seul, 30 ans et trois enfants plus tard ? Anne-Marie et Patrick surmonteront-ils ce passage qui fait partie du cycle de la vie ?

Encore une fois, Besson nous livre un texte fin, épuré, qui va à l’essentiel, qui décortique les sentiments et les décrit avec le plus de précision possible. Derrière les mots justes, il y a surtout une immense sensibilité, une profonde empathie pour ses personnages qui font de Philippe Besson un écrivain qu’on adore lire.

★★★½

Le dernier enfant

Philippe Besson

Julliard

208 pages