La romancière Joyce Maynard a souvent écrit sur la famille. Des romans inoubliables comme L’homme de la montagne ou encore Un jour, tu raconteras cette histoire, deux titres parmi ses plus beaux.

Mais Où vivaient les gens heureux dépasse tout ce qu’elle a pu dire sur le sujet jusqu’à présent. C’est d’ailleurs sans surprise qu’il s’est vu décerner, début novembre, le Grand Prix de littérature américaine – une récompense incontestablement méritée.

À travers l’histoire d’Eleanor, on parcourt plus de 40 ans dans la vie d’une femme qui ne désirait rien de plus au monde que d’offrir à ses enfants l’enfance heureuse et la famille aimante qu’elle n’a jamais eues. Une mère dont la plus grande faute est d’avoir trop aimé ses enfants, et qui s’en verra cruellement punie.

Son trop grand amour a fini par peser sur eux comme un fardeau à mesure qu’ils grandissaient, alors que leurs chagrins devenaient les siens et qu’elle s’acharnait à leur éviter les moindres peines. « Les enfants devaient connaître la tristesse, sinon comment sauraient-ils réagir quand ils y seraient confrontés ? Les difficultés viendraient, quoi qu’on fasse », finit-elle par comprendre, peut-être beaucoup trop tard.

Il n’y a probablement pas de rôle plus ingrat que celui d’une mère, ne peut-on s’empêcher de penser en suivant cette femme qui doit apprendre à laisser aller ces précieuses personnes qu’elle a mises au monde, mais qu’elle ne peut empêcher de souffrir. Et trouver, seule, son chemin dans les complexités de la vie de famille, sans jamais avoir eu quiconque pour lui montrer la voie à prendre.

Après s’être acharnée à construire le foyer idéal, Eleanor voit son royaume s’effondrer, impuissante devant la destruction du fruit de ses efforts. Elle passe ainsi de nombreuses années à ressasser le passé et à panser ses plaies, s’en voulant de ne pas avoir été à la hauteur d’offrir à ses enfants une famille comme celle des cartes de vœux qu’elle créait. Mais les enfants grandissent, les relations changent. « Finalement, on survit à beaucoup de choses. On en est transformé. Mais on continue », écrit-elle.

Où vivaient les gens heureux est un roman empreint d’une incommensurable tristesse et d’une tout aussi grande beauté. Joyce Maynard met le doigt de façon incomparable sur ces malaises, ces ratés, ces déceptions qui rongent le couple et la maternité. Explore les liens familiaux et conjugaux – de surcroît dans une petite ville où tout le monde se connaît et se jauge – avec finesse et une profonde sensibilité. Et nous offre un drame familial ponctué de grandes et de petites tragédies qui se mesurent à l’aune de la marche de l’histoire d’un pays, qui a lui aussi connu des pertes et de grands malheurs.

Où vivaient les gens heureux

Où vivaient les gens heureux

Philippe Rey

560 pages

8/10