L’année littéraire québécoise a été faste. Nos deux journalistes vous présentent des lectures qui les ont marqués en 2021.

Après Céleste, Maude Nepveu-Villeneuve

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Après Céleste

Bien qu’il y soit question de deuil périnatal, Après Céleste est moins un livre sur la perte d’un enfant que sur tout ce qu’il faut laisser derrière soi en entrant dans l’âge adulte. Ode à la puissance consolatrice de l’amitié féminine, le troisième roman de cette écrivaine trop peu célébrée brille par son humour doux-amer, par ses phrases d’une formidable acuité ainsi que par la tendresse dans laquelle sont sculptés ses personnages. Un livre qui réconforte, sans pour autant promettre un avenir exempt de tristesse, mais en montrant sobrement qu’il reste encore de la lumière, même après le pire.

Éditions de ta mère, 160 pages

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Mille secrets mille dangers

Mille secrets mille dangers, Alain Farah

« La vérité, c’est qu’on ne choisit pas les images qui nous hantent et nous font », observe Alain Farah dans ce troisième roman, inventaire des douleurs – de l’exil, de l’enfance, du corps – qu’il porte alors qu’il se dirige vers l’oratoire Saint-Joseph, où il doit épouser la femme qu’il aime. Mille secrets mille dangers n’est rien de moins qu’un tour de force narratif, dans lequel l’auteur a l’élégante sagesse de ne pas attirer l’attention sur sa propre virtuosité, mais bien sur son histoire. Son cousin Édouard lui suggérait depuis longtemps d’écrire un livre dans lequel il raconterait – se raconterait – simplement. Force est d’avouer que l’imbécile avait raison.

Le Quartanier, 512 pages

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Mukbang

Mukbang, Fanie Demeule

Fanie Demeule raffine dans ce thriller dystopico-alimentaire un art du roman consistant à leurrer son lectorat à l’aide d’une amorce d’apparence banale, avant de laisser se refermer sur lui l’implacable piège d’un miroir déformant, tendu à notre époque. Fable grotesque sur la fabrique à cauchemars qu’est l’internet, Mukbang parle du pouvoir à la fois grisant et lénifiant des likes, tout en évitant le piège d’une condamnation sans appel des réseaux sociaux. L’autrice de Roux clair naturel y sonde surtout ce désir inaliénablement humain, presque dangereux, d’exister dans le regard des autres, peu importe ce qu’il faut s’infliger.

Tête Première, 232 pages

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La fille d’elle-même

La fille d’elle-même, Gabrielle Boulianne-Tremblay

Première autofiction francophone écrite par une femme trans au Québec, La fille d’elle-même est pour cette seule raison un évènement dans l’histoire de notre littérature. Mais il s’agit aussi d’un grand roman, d’une poésie clair-obscur, au cœur duquel l’euphorie confuse de la découverte de soi rencontre la violence d’un monde qui ignore encore tout de la transidentité. Sans exonérer ceux qui perpétuent la bêtise de l’ostracisme, Gabrielle Boulianne-Tremblay choisit de croire que l’autre est capable du meilleur, et ce, même si elle sait pertinemment qu’il est capable du pire. Elle fait ainsi œuvre utile et offre un nouvel exemple à l’adage selon lequel c’est dans ce qu’elles ont de singulier que les histoires trouvent leur universalité.

Marchand de feuilles, 344 pages

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La voleuse

La voleuse, Daria Colonna

« Le désespoir de mon père est une clarté », écrit Daria Colonna. Elle ne pourrait mieux résumer la tension qui traverse ce récit poétique, dans lequel une femme tente de s’affranchir du legs délétère de ses parents, tout en réalisant peu à peu qu’elle ne pourra jamais complètement s’en défaire. Livre généreux en entêtantes fulgurances et en salutaires révoltes, dans lequel la joie et la mélancolie sont cousines, La voleuse témoigne de la complexité tortueuse des rapports de classe et rappelle que même lorsque tout conspire à notre désespoir, il existe toujours le refuge de la nuit, de l’amitié et de la littérature.

Poètes de brousse, 256 pages

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Tout est ori

Tout est ori, Paul Serge Forest

« Wow ! » C’est par cette interjection que nous commencions notre critique de ce roman complètement hallucinant et hautement original, lauréat du prix Robert-Cliche 2021. Se déroulant sur la Côte-Nord, région d’origine de l’auteur, médecin de métier (Paul Serge Forest est son pseudonyme), Tout est ori mêle histoires de pêche, amour des mollusques, plaisirs charnels et brûlantes obsessions, ainsi qu’une intrigante nouvelle couleur qui éblouit tous ceux qui la regardent, dans un récit complètement abracadabrant rempli de personnages excentriques et colorés.

VLB éditeur, 456 pages

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Tableau final de l’amour

Tableau final de l’amour, Larry Tremblay

Inspiré très librement de la vie et de l’œuvre de Francis Bacon, ce récit brûlant et jouissif est absolument magnétique. Larry Tremblay s’y révèle au sommet de son art. Il s’intéresse à la relation toxique et tragique entre le peintre et George Dyer, qui deviendra le modèle tourmenté d’un artiste qui cherche à percer le réel et à retourner les chairs à vif sur ses toiles. Ou quand plaisir et douleur s’entrelacent pour une danse tout aussi belle que macabre.

La Peuplade, 216 pages

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Valide

Valide, Chris Bergeron

Valide a attiré l’attention comme un des premiers romans québécois écrits par une personne trans, et met aussi en scène un personnage principal trans, Christian/Christelle. Mais ce thriller identitaire est beaucoup plus que ça. Entre autofiction et science-fiction, la vice-présidente chez Cossette offre un roman brillant et haletant, campé dans un futur dystopique contrôlé par l’intelligence artificielle et dans un Montréal transfiguré par les crises sanitaire et climatique. Pour gagner contre la machine, le personnage devra affronter ses propres démons intérieurs.

XYZ, 272 pages

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Haute démolition

Haute démolition, Jean-Philippe Baril Guérard

Avec un ton grinçant, sarcastique et cru, ce roman lève le voile sur le milieu de l’humour, et ce qu’il met en lumière est loin d’être rose. On y suit un jeune humoriste en pleine ascension et vivant très mal la rupture avec son ex, qui est en fait la narratrice de ce récit, écrit au « tu » et au futur – un choix audacieux. C’est un roman qui se dévore, et qui sait plonger sous la surface des choses, là où grouillent nos insécurités, nos mesquineries et nos paradoxes.

Les éditions de ta mère, 357 pages

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Bivouac

Bivouac, Gabrielle Filteau-Chiba

Elle est belle, et porteuse de sens, l’œuvre que construit Gabrielle Filteau-Chiba. Avec ce troisième opus qui renoue avec les mêmes personnages que ses précédents, elle pousse plus loin sa réflexion tout en sensibilité sur la relation entre l’homme et la nature, et sait nous émouvoir tout en nous conscientisant. Le récit tourne ici autour d’un groupe de militants environnementaux qui feront tout pour stopper un projet d’oléoduc, mais est aussi – et surtout – une touchante histoire d’entraide et d’amour, au-delà de nos différences.

XYZ, 384 pages