Des bribes de mémoire comme autant de fragments d’un miroir éclaté, qu’il faut rassembler, examiner, interroger, redisposer. Patrick Modiano ressort ses instruments préférés, les montres capricieuses à remonter le temps et les boussoles brumeuses, pour nous lancer sur les voies du passé de Jean Bosmans, qu’il exhume des décennies plus tard.

Tirant le fil flou d’une mystérieuse maison de la vallée de Chevreuse, en région parisienne, où il fut témoin d’évènements troublants dans son enfance, il rebâtit péniblement le château de cartes de sa mémoire, redisposant une à une ses composantes, avec ses dames (la propriétaire Rose-Marie Krawell), ses rois (l’évanescent Guy Vincent) et ses valets (son amie Camille, dite « Tête de mort »).

Balloté entre les époques et les lieux, les visages et les noms, Bosmans fait feu de toute réminiscence, enquêtant notamment sur un appartement où se réunissent, la nuit tombée, des personnes « peu recommandables ».

Une lente et laborieuse recomposition qui le mènera au pied du mur – littéralement. L’auteur de Dora Bruder démontre une nouvelle fois le brio avec lequel il dérègle les pendules du temps et brouille les souvenirs pour mieux les rajuster progressivement, jouant constamment avec les pôles du flou et de la netteté.

Les aficionados de Modiano ne manqueront pas de noter les effets d’intertextualité, avec noms, lieux et chiffres prélevés dans des œuvres précédentes et réémergeant ici de façon fantomatique.

Le point d’arrivée pourrait en décevoir certains, mais faisant fi des schémas littéraires à succès, Chevreuse s’applique plutôt à nous montrer que l’aboutissement du chemin n’est peut-être pas aussi important que les dalles qui le pavent.

Chevreuse

Chevreuse

Gallimard

160 pages

6/10